Dans le Grand Est, plusieurs organisations patronales et syndicales ont appelé dès la fin mars à une « union sacrée ». Est-ce utile en période de forte crise ?
Les intérêts de l’entreprise et ceux des salariés peuvent se recouper, mais il faut une grande candeur pour croire que le monde des actionnaires et celui des salariés ne sont pas antagonistes. Lors de la reprise, il arrive que la santé des travailleurs passe au second plan. Des grands groupes dont l’activité n’est absolument pas prioritaire ont fait du forcing, à tel point que les salariés ont fait valoir leur droit de retrait dès le 16 mars. Dans un cas, le groupe a finalement mis ses sites à l’arrêt deux jours plus tard mais entend faire passer ces deux jours de retrait comme des jours de congé. Dans un autre dossier que je défends, l’employeur a maintenu l’activité en dépit du droit de retrait et des observations de l’inspection du travail. J’ai donc déposé plainte pour mise en danger de la vie d’autrui.
À l’heure du déconfinement, toutes les précautions sont-elles prises ?
Il y a un gouffre entre les déclarations d’intention et la réalité. En matière de santé publique, il n’aurait pas fallu déconfiner. Les procès-verbaux de CSE dont j’ai connaissance montrent que nombre de mesures sanitaires sont illusoires. J’espère au moins qu’elles seront concrétisées par des accords. Or, le décret n° 2020-508 du 2 mai 2020 réduit à huit jours le délai de consultation du CSE en l’absence d’un expert, et à douze en cas d’expertise. Aucun CSE ne peut faire de travail sérieux en aussi peu de temps. C’est museler le monde du travail. De plus, je crains que les mesures d’exception liées au Covid-19 se pérennisent.
Le chômage partiel massivement accordé va-t-il dans le bon sens ?
Il a le mérite d’avoir permis à des millions de salariés de rester chez eux tout en étant indemnisés à peu près correctement. Mais la crise laisse beaucoup de gens au bord du chemin : les précaires, les salariés dont les heures supplémentaires ne sont pas payées, les travailleurs sans papiers victimes de la délinquance patronale… Je ne pardonne pas aux Gouvernements successifs d’avoir toléré tant de travail au noir et je crains aujourd’hui de voir arriver en France une misère digne du tiers-monde.
Qu’en est-il des plans sociaux engagés avant le début de la crise ?
Pour l’instant, les délais de consultation sont gelés. Lorsque la négociation reprendra, tout ce qui aura pu être écrit dans le livre II pour justifier le plan social – la situation du marché, la concurrence, les choix de délocalisation, les perspectives de développement de l’entreprise – sera caduc. Dans certains cas, le prêt garanti par l’Etat pourra permettre à des repreneurs de mener la restructuration différemment. Dans d’autres, il faudra faire cesser la délocalisation à outrance dans des pays low cost et faire valoir l’indépendance nationale. À la place des IRP, je prendrais mon bâton de pèlerin pour dire que le Covid-19 constitue une opportunité de revenir en arrière ou de faire demi-tour – en tout cas, de repartir du bon pied.
Propos recueillis par Pascale Braun
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