Directeur du groupement européen de coopération territoriale Pamina, Patrice Harster s’implique depuis trois décennies dans la structuration de ce territoire de 1,7 millions d’habitants répartis entre le Palatinat du Sud, le Mittlerer Oberrhein et le Nord de l’Alsace.
Confrontée au retour brutal des frontières, l’institution n’en n’affine pas moins des projets économiques et sanitaires communs et voit dans la crise sanitaire actuelle l’opportunité de faire rebondir la coopération.
Au regard de votre longue expérience de la coopération transfrontalière, que retenez-vous d’ores et déjà de la gestion de la crise sanitaire?
Que l’amitié personnelle entre les acteurs et les relations de proximité sont déterminantes, et même plus fortes que les structures… mais que celles-ci doivent en être l’expression. Si le transfert de patients alsaciens vers l’hôpital de Karlsruhe a été possible, ce n’est pas à l’ARS (Agence régionale de santé) qu’on le doit, c’est grâce à notre action. Le fait que le maire de Karlsruhe, Frank Mentrup, se trouve être médecin, a été précieux.
A Pamina, nous avons dû gérer un retour brutal aux frontières, décidé unilatéralement et de façon précipitée, après la fameuse déclaration de l’institut Robert-Koch classant le Grand Est comme une zone à risque. Une décision prise depuis Berlin par des personnes qui ne se sont pas posé la question des conséquences à l’autre bout du pays. Rappelons que cette décision ne concerne que la frontière française de l’Allemagne. Dans ce contexte, nous qui avons l’habitude de travailler dans l’action et l’anticipation avons dû passer en mode réaction. Nous avons multiplié les coups de fil pour résoudre ou tenter de résoudre les innombrables questions qui se sont posées, pour les travailleurs frontaliers en premier lieu. A ce titre, je souligne que l’antenne Infobest de notre territoire n’a jamais cessé de fonctionner, continuant de renseigner, par téléphone et mails. Nous éditions également un bulletin quotidien d’informations pratiques, week-end compris.
Quelles leçons en tirer dans le domaine de la santé, dans lequel Pamina porte d’ailleurs un projet transfrontalier ambitieux ?
Toute crise déclenche des opportunités. Celle-ci permet de réaffirmer de manière très criante combien la gestion de proximité a son intérêt. Lors de visioconférence du comité de coopération transfrontalière pour le suivi du traité d’Aix-la-Chapelle le 23 mars dernier, une représentante du gouvernement du Land de Bade-Wurtemberg a demandé pourquoi on ne disposait pas de base de données sur la capacité hospitalière de part et d’autre du Rhin : oui, l’outil manque. Le traité d’Aix-la-Chapelle a montré ses limites. Mais il ouvre une porte, en son article 13, en introduisant la notion de « compétence appropriée » aux Eurodistricts. J’ai proposé de revendiquer cette compétence en matière de santé. Nous constituons dès cette semaine un groupe de travail qui impliquera le comité européen des régions.
Il existe effectivement un projet-pilote pour avancer : c’est le nôtre. Dénommé “Offre de soins Pamina- Gesundheitsversorgung”, il nous mobilise depuis plusieurs années pour coordonner et mutualiser les offres de santé et l’accès aux soins à l’intérieur de Pamina. La future plate-forme commune entend éviter la concurrence inutile qui consisterait à créer une unité de cardiologie alors qu’il y en a une efficace 10 kilomètres plus loin. A l’inverse, il faut faciliter la pratique d’un professionnel de santé allemand (un anesthésiste, par exemple…) qui pourra exercer ou du moins de venir en renfort d’un établissement français et vice-versa. Il faudra aussi pouvoir créer une maison de santé transfrontalière, ou encore, dépasser l’obstacle sempiternel des remboursements…. Le lancement de l’étude de faisabilité technique et juridique a été retardé, mais elle devrait démarrer en septembre. Là aussi, des médecins qui regardaient l’initiative d’un peu loin nous ont appelés dans le contexte de la crise sanitaire. C’est l’occasion pour nous, Eurodistrict, de revenir dans l’action et l’anticipation, qui sont l’essence même de notre fonctionnement.
Plus généralement, quels thèmes poussez-vous en avant pour relancer la coopération après le déconfinement ?
Tout le territoire de Pamina aura besoin d’un plan de relance économique. Il nous faudra travailler à un schéma de développement plus intégré, plus transfrontalier. La crise met en évidence des relations importantes et souvent ignorées ou sous-estimées… du fait qu’elles ne fonctionnent pas en ce moment, comme les sous-traitances d’entreprises d’Alsace du Nord pour les donneurs d’ordre côté allemand. S’appuyer sur l’exceptionnel potentiel de la Technologie-Region de Karlsruhe sera pertinent, pour créer par exemple une plate-forme d’intelligence artificielle qui puisse irriguer tous nos territoires ruraux.
Décloisonner la gestion des crédits européens sera également nécessaire : nous disposons de toute la palette possible des fonds, mais de part et d’autre de la frontière, chacun fait encore un peu trop comme il l’entend. Le 19 mars 2020, nous devions tenir une réunion pour entériner la mutualisation des fonds Feder entre la partie française et les Länder de Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-Palatinat. Ce n’est que partie remise, le projet devrait être prêt pour 2021.
Propos recueillis par Mathieu Noyer
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