50 degrés à l’ombre à Metz et à Nancy ! Cette effarante perspective conduit les deux métropoles lorraines à renforcer leur armature végétale. Les arbres ne sont plus perçus comme des éléments d’ornement, mais comme des alliés qui aideront les citoyens à résister aux aléas du réchauffement climatique.
Les Lorrains n’imaginaient pas passer d’un climat continental à des températures tropicales. Les scénarii convergents des climatologues et des experts du Giec laissent pourtant présager des pics estivaux à 50, voire 55 degrés dans l’Est de la France dès la deuxième moitié de ce siècle. Incrédules, puis effarés, les élus de Metz, de Nancy et de leur métropole respective ont cherché des parades. Ils placent aujourd’hui les arbres en première ligne du combat pour des villes vivables. Leur disparition aggraverait la fournaise, la pollution et le mal-être. A contrario, l’extension des canopées urbaines procurerait des ilots de fraîcheur aux habitants, des refuges à la faune et des zones de captage des pollutions et de stockage de carbone. Depuis trois ans, les deux collectivités mobilisent donc leurs ressources techniques et scientifiques pour protéger et accroître leur patrimoine arboré. Complémentaires, les dispositifs élaborés par le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) à Metz et par l’université de Lorraine pour Nancy leur permettent d’affronter l’urgence climatique sans précipitation.
Les arbres sont des bouffées d’oxygène pour la ville. Leur impact sur la santé physique et mentale des citoyens est avéré. Il est donc essentiel de planter des essences résistant à la fois au changement climatique et à l’environnement urbain et de les choisir en fonction des services escomptés.
Marylin Molinet, conseillère municipale déléguée à la préservation de la biodiversité à la mairie de Metz
Une vaste étude sur l’arbre urbain
Basé à Metz, le Cerema Grand Est a compilé durant deux ans la littérature scientifique pour mener à bien, en partenariat avec la Ville et Metz Métropole, la première étude européenne sur l’arbre urbain dans un contexte de changement climatique. Présenté fin 2019, le projet Sésame (Services EcoSystémiques rendus par les Arbres Modulés selon l’Essence) a caractérisé 85 espèces et fonction de leurs besoins, de leur adéquation au milieu et de leurs avantages.
Dès le départ, nous avons cherché à élaborer une méthodologie transposable et paramétrable. Initialement dédié à Metz, Sesame pourra s’enrichir d’autres éléments écosystémiques tels la résistance aux embruns, la limitation de l’érosion ou le risque incendie.
Luc Chrétien, chef de la division Environnement du département aménagement et développement durable du Cerema à Metz
Un descriptif agrémenté d’une photo liste les caractéristiques agronomiques – besoins en ensoleillement et en nutrition, résistance à la chaleur, fragilités) et détaille les atouts et les limites de chaque essence. L’étude prend en compte les aptitudes dépolluantes des arbres, leur intérêt paysager et leur contribution à la biodiversité. Elle signale également les problèmes de branches cassantes, de fleurs allergènes, de fruits toxiques ou nauséabonds. Une notation de 1 à 10 pour chaque service et de 0 à – 10 pour les contraintes permet une évaluation scientifique de chaque essence. Le classement ne désigne pas de champion et n’écarte que les plantes invasives.
L’étude est entrée en phase de test au printemps 2020 sous maîtrise d’ouvrage de la Ville. Dans le quartier de Borny, une centaine d’arbres plantés en rideau devant des immeubles devront démontrer la résistance et les capacités de dépollution d’une quinzaine d’essences locales ou non. Des capteurs mesureront les taux de dioxyde d’azote, de particules fines, de métaux lourds et d’hydrocarbures dans un espace témoin vierge de plantations et dans la zone protégée, où les émissions devraient diminuer de moitié.
Sésame constituera également un outil d’aide à la décision pour planter courant 2020 les 4.000 arbres qui compléteront la trame verte et bleue établie par l’agence d’urbanisme Aguram pour la ville de Metz et pour Metz Métropole.
La question de l’arbre relève d’une vision à la fois messine et métropolitaine. Elle permet d’intégrer plusieurs politiques dont le plan climat énergie, la continuité écologique dans le secteur périurbain ou le soutien à l’indépendance alimentaire.
Guy Bergé, ancien vice-président de Metz Métropole et président d'Atmo France
Le conseil régional du Grand Est a retenu le projet de recréation d’une continuité écologique porté par 11 agriculteurs à l’est de Metz. Désignée en 2019 « meilleure grande ville pour la biodiversité » par l’Agence nationale pour la biodiversité, puis labellisée en 2020 Territoire engagé pour la nature, Metz s’apprête à répondre, avec le Cerema, à l’ambitieux appel à projets européen Re-Naturing Cities with Innovative Technologies and Governance Practices for Improved Air Quality and Carbon Storage.
A 60 kilomètres de Metz, Nancy mise également sur les arbres pour atteindre les objectifs du programme « Nancy 2030, cap sur la ville écologique ». En 2018, le maire radical Laurent Hénart a sollicité l’université de Lorraine pour positionner sa ville dans la lutte contre le réchauffement climatique. L’arbre se taille une place de choix dans les propositions élaborées par le conseil d’orientation pour la transition énergétique (Coten) qui rassemble des représentants de l’université, de la Ville, des associations et des entreprises. Parmi les projets emblématiques figure la désimperméabilisation des sols, notamment dans les cours d’écoles.
La question n’a rien de théorique. En 2019, la canicule survenue pour la première fois en période scolaire nous a conduit à développer des réponses plus durables que l’installation de la clim.
Romain Pierronnet, adjoint Education, écoles et ville numérique à la mairie de Nancy
Dans trois écoles, le bitume a été remplacé des arbres et jardins, en concertation avec le personnel enseignants, les parents d’élèves et les écoliers eux-mêmes. La végétalisation se poursuivra au gré des rénovations et des besoins : les écoles situées à proximité de grands parcs publics pourront décliner la proposition.
Cours d’écoles et places désimperméabilisées
La désimperméabilisation s’étend à certaines places appelées à se transformer en ilots de fraîcheur géolocalisables. La première d’entre elles, rue de la Croix de Bourgogne, s’est ainsi muée en « oasis urbain » après concertation avec les riverains pas toujours ravis de voir des arbres empiéter sur leurs places de stationnements. Elaboré sur des bases fonctionnelles, le projet se penche aussi sur la pérennité d’arbres condamnés à prendre racine à fleur de béton. L’université de Lorraine se réfère entre autres aux recherches de son laboratoire « sols et environnement » pour déterminer la profondeur de la plantation et la qualité du substrat.
Notre objectif est bien de léguer une canopée aux générations futures. Il est donc essentiel de choisir de bonnes essences et de leur donner toutes leurs chances.
Michel Fick, vice-président de l'université de Lorraine et ex-directeur de l'institut d'agronomie Ensaia
La ville de Nancy couplera la méthodologie messine Sésame à ses propres bases de données, qui répertorient son patrimoine végétal arbre par arbre, pour y adapter les nouvelles plantations et optimiser les services qu’elles rendront.
Sur le plateau de Haye surplombant l’agglomération, le Grand Nancy a racheté un parc forestier de 15 hectares qui fait figure de laboratoire botanique et sociétal au cœur d’un quartier Anru. Conçu par le paysagiste Alexandre Chemetoff sur d’anciennes carrières, le site accueille à la fois des jardins partagés, des espèces pionnières qui colonisent la friche et de grands arbres gérés à la manière d’une exploitation forestière classique. Délibérément permissifs, les services de l’écologie urbaine du Grand Nancy y autorisent les coupes de bois et les feux de barbecues. Car la forêt peut aussi insuffler l’humanisme. La collectivité, qui pilote le projet Des Hommes et des Arbres, inscrit ce programme labellisé Territoire d’innovation de grande ambition (Tiga) dans la continuité de l’Ecole de Nancy. Dans cette optique, l’arbre doit faire croître la science, l’industrie et l’art de vivre. Ancien maire de Nancy, puis président du Gand Nancy, André Rossinot, qui a mis fin en mars dernier à 50 ans de vie politique, est pressenti comme président d’honneur du cluster des Hommes et des arbres.
--Télécharger l'article en PDF --
Poster un commentaire