Originaire de Felsberg, près de Sarrelouis, francophile, francophone et frontalière dans l’âme, Uschi Macher est devenue la « Madame France » du ministère de la Culture de la Sarre, auquel elle apporte depuis plus de 30 ans son énergie, son pragmatisme et son idéalisme. L’ancienne chargée des relations publiques du faïencier Villeroy & Boch est entrée en fonction au Land de Sarre en 1983, et s’estime toujours aussi chanceuse d’exercer un métier où elle n’a pas à choisir entre les Beaux-arts, la littérature, la musique, le théâtre ou le patrimoine pour assouvir une passion intacte.
La Sarre assume depuis début 2019 la présidence de la Grande Région. Comment comptez-vous réveiller la dimension culturelle de cette organisation ?
Pendant quatre ans, l’espace culturel de la Grande Région, structure juridique qui réunit les administrations culturelles de ses six composantes, n’a pas été très visible. Cette année et l’an prochain, nous allons relancer des conférences thématiques sur les questions de la musique, de la littérature des beaux-arts ou du travail de mémoire. Quand on réunit des experts, ils savent créer des réseaux. Ces tables rondes constitueront les piliers de notre programme de travail, mais nous ne nous arrêterons pas là. Nous réfléchissons à l’opportunité de créer des résidences d’artistes, des bourses, des fonds pour la traduction littéraire… Si on donne aux artistes de la Grande Région la possibilité d’exposer, de lire, de se découvrir, de faire des voyages, il se créera une dynamique qui peut aller loin et perdurer au-delà des projets initiaux.
Esch 2022, capitale européenne de la culture, peut-elle constituer un projet fédérateur pour la Grande Région ?
Sans doute pas. Autant en 2007, la Grande Région avait été désignée comme capitale culturelle de l’Europe dans une dimension explicitement transfrontalière, autant Esch 2022 n’est frontalière que sur une partie du territoire lorrain. Mais la manifestation comportera certainement une lueur transfrontalière. Il n’y a pas encore eu de grand appel à la coopération, mais en Sarre, plusieurs porteurs de projets se sont exprimés. Nous les soutiendrons s’ils sont retenus.
Quelle évolution observez-vous depuis 2007, année où le Luxembourg et la Grande région ont été désignés capitale culturelle de l’Europe ?
Avec la mondialisation, on n’attache plus autant d’importance à ses voisins. Avant 2007, les composantes de la Grande Région étaient attirées par le prestige de Berlin, Paris ou Bruxelles. 2007 a constitué un événement hors-normes, avec 150 projets soutenus par des budgets conséquents. La Grande Région a découvert l’euphorie de se découvrir riche en idées, en projets et en moyens financiers. Aujourd’hui, le transfrontalier est entré dans le quotidien de la culture. La Rockhal est devenue une institution transfrontalière, le projet Interreg Total Théâtre a appris aux théâtres de la Grande Région à travailler ensemble, les musées coopèrent et en musique, il n’existe plus une formation où il n’y aurait que des Lorrains, que des Sarrois ou que des Luxembourgeois…
La coopération fonctionne, mais elle ressemble à un mariage : on croit que tout est réglé, mais il faut revoir les modalités de fonctionnement au quotidien. La coopération en Grande Région peut engendrer une lassitude à laquelle il ne faut pas se résigner.
En quoi cette coopération vous parait-elle essentielle ?
Nous sommes confrontés à des enjeux importants. Si nous parvenons à contribuer à la mobilité des artistes, à la numérisation du patrimoine industriel ou encore, à formaliser le travail de mémoire, nous parviendrons à définir une véritable stratégie transfrontalière que nous pourrions proposer au Sommet de la Grande Région, puis à l’Europe. Tout ce que l’on peut réaliser ici peut être un exemple pour l’Europe. La Grande Région parvient à faire coopérer quatre nations et cinq régions dont les structures et les niveaux de décision ne coïncident pas. Cette coopération n’a pas été simple, mais les partenaires ont démontré qu’elle était possible quand il existait une volonté politique de la mettre en œuvre. En ce sens, la Grande Région constitue un terrain d’expérimentation intéressant : les questions ne se posent pas de la même manière qu’à la frontière entre l’Italie et la France ou entre l’Allemagne et la Pologne, mais il y a des points communs.
La Grande Région a-t-elle besoin de hauts-lieux ou de manifestations culturelles phare pour exister sur le plan culturel ?
Les hauts-lieux culturels existent : avant même la recomposition de la région Grand Est, la Grande région comptait 24 sites classés à l’Unesco. Il y en a bien d’avantage aujourd’hui, mais le public ne se déplace pas pour découvrir une offre globale. En revanche, des personnes peuvent être intéressées par des circuits qui iront de Saint-Dié, où se trouve une usine de Le Corbusier, jusqu’aux anciennes aciéries de Volklingen en passant par le Carreau Wendel à Petite-Rosselle ou les galeries minières de Fonds de Gras au Luxembourg. Il faut bien choisir les lieux et la thématique, qui varient en fonction des tranches d’âge, et les mettre en réseau. On pourrait imaginer une labellisation pour cette forme de coopération qui produit des résultats durables.
Tobias Hans a été investi à la présidence du Land de Sarre en mars 2018 en remplacement de Annegret Kramp-Karrenbauer, Uwe Conradt a succédé à Charlotte Britz en tant que bourgmestre de Sarrebruck en juin 2019 et Ulrich Commerçon, ministre sarrois de la Culture de la Sarre depuis 2012, a été remplacé par Christine Streichert-Clivot en septembre dernier. Les changements politiques présentent-ils une incidence sur les coopérations culturelles du Land ?
Ils ne nuisent pas forcément. En Sarre, quels que soient les partis politiques, la coopération est inscrite dans les institutions, dans les têtes et dans les cœurs. Pour comprendre la Sarre, il faut connaître son histoire. Sa richesse culturelle actuelle émane en grande partie de la période 1945/1955, lorsqu’elle était administrée par la France. L’université, le conservatoire supérieur de musique, l’école des Beaux-Arts, se sont constitués sur le modèle français. Depuis, le franco-allemand a toujours été une caractéristique de la Sarre.
Depuis ma prise de fonction, j’en suis à mon huitième ministre de la Culture ! Ulrich Commerçon était très impliqué sur les thématiques culturelles, politiques et sociales. Nous connaissons bien Christine Streichert-Clivot, qui était sa secrétaire d’Etat. Elle s’inscrira dans cette continuité et maintiendra cet engagement.
Propos recueillis par Pascale Braun
--Télécharger l'article en PDF --
Poster un commentaire