Sur les hauteurs de la ville, le quartier Haussonville-Blandan vivait au rythme de ses casernes. Leur départ a permis au Grand Nancy de regrouper trois écoles d’art, de technologie et de management. Artem a enrichi l’espace public et revitalisé son environnement.
L’anniversaire peut surprendre : le campus nancéien Artem s’apprête à fêter ses 20 ans cet automne, alors même que sa première pierre a été posée en novembre 2009. La commémoration se réfère au manifeste cosigné en 1999 par les directeurs de l’ICN Business School, de l’Ecole des Mines et de l’Ecole nationale supérieure d’art pour développer une pédagogie transdisciplinaire dans un espace conjoint. Cette conception intellectuelle pionnière tenait sur une page. Sa concrétisation a demandé vingt ans, mobilisé 243 millions d’euros et profondément transformé l’ex-quartier militaire Haussonville – Blandan.
Les trois écoles incarnant le triptyque « Art, technologie et management » s’alignent désormais au long d’une verrière rose et bleue aux allures d’origami. Inauguré en mai 2019, l’institut Jean-Lamour, un centre de recherches sur les matériaux de dimension internationale accolé à Artem, complète le campus auquel se grefferont également un centre de formation des apprentis et un collège. A moins d’un kilomètre du site universitaire, le quartier se prépare à accueillir le plus gros projet de l’agglomération : la réhabilitation du complexe thermal situé en lisière du parc Sainte-Marie mobilisera près de 100 millions d’euros sous maîtrise d’ouvrage du groupe Valvital.
Fière de sa tradition étudiante, Nancy rechignait à éloigner la recherche universitaire de son centre-ville, préférant laisser les écoles d’ingénieurs se reconstruire sur elles-mêmes. Mais à fin des années 90, cette solution avait trouvé ses limites et l’école des Mines recherchait activement un nouveau site. Au tournant de la décennie, l’annonce de la désaffection des casernes Blandan et Molitor est tombée à point nommé pour reconvertir ces 10 hectares sous forme de campus.
Nous avons bénéficié d’un alignement de planètes favorable avec la célébration de l’école de Nancy en 1998, le manifeste Artem en 1999 et la libération de l’emprise des casernes un an plus tard. Dès lors, nous avons avancé au gré des contrats de plan successifs, en phasant les chantiers en fonction des accords obtenus auprès des ministères de tutelle des trois écoles.
Claire Simonnet, directrice de la direction Enseignement supérieur, recherche et vie étudiante de la métropole du Grand Nancy
La collectivité a assuré la maîtrise d’ouvrage de l’ensemble du projet, à l’exception de l’Institut Jean-Lamour, qui constitua la dernière grande maîtrise d’ouvrage du conseil régional de Lorraine pour un montant de 112 millions d’euros.
Anma à la manoeuvre
Retenu sur appel d’offres en 2006, l’architecte-urbaniste Nicolas Michelin a coordonné l’ensemble de la zone et assuré la maîtrise d’œuvre de l’Ecole des Mines, livrée en 2012 sur 18.500 mètres carrés. Constituée d’un bâtiment principal dédié à l’enseignement et d’un pôle recherche regroupant plusieurs laboratoires, le bâtiment est connecté à la galerie-rue de 300 mètres coiffée de la fameuse verrière. Tantôt admiré, tantôt décrié, l’élément coloré qui dépasse fièrement les toits du quartier est devenu un marqueur architectural et géographique, voire même, le symbole du campus tout entier. S’y sont successivement raccordés l’ICN Business school et l’Isam-IAER implantés par le cabinet parisien Lipsky-Rollet sur 13.477 mètres carrés et l’école d’art Ensan de 8.600 mètres conçue par l’agence autrichienne Dietrich/Untertrifaller comme point d’entrée du campus, à l’angle de la place Vauban.
Plaine des loisirs
Ouvert sur la ville et accessible aux habitants du quartier, le campus a permis de dilater l’espace public.
Stéphane Colin, directeur exécutif de la Solorem
La société d’économie mixte qui a assuré la maitrise d’ouvrage déléguée du projet Artem. Conçue comme une rue couverte, la galerie de 9 m de hauteur est accessible aux riverains de 7 h 30 à 23 heures en semaine et le samedi matin. A l’arrière du campus, la paysagiste nancéienne Claire Alliod a ouvert la « plaine des loisirs » qui englobe de grandes terrasses plantées d’essences locales. Les habitants investissent volontiers ce nouvel espace public à l’heure des pique-niques estivaux. Ils ont également découvert la possibilité de consulter les ouvrages de la médiathèque universitaire – à défaut de pouvoir les emprunter – et celle d’accéder au restaurant universitaire d’Artem.
Les riverains, qui ont subi beaucoup de nuisances durant les travaux, commencent à réaliser les apports du campus, tandis que les étudiants prennent conscience de la chance d’être accueillis dans ce quartier.
Françoise Malgros, présidente du conseil citoyen Haussonville – Blandan – Mon Désert – Saurupt
En 2015, la première assemblée générale de cette instance issue la réunification de deux ateliers de quartier s’est tenue dans l’amphithéâtre de l’école des Mines. Depuis, le conseil a multiplié les passerelles avec les étudiants, organisant sur le campus des visites-promenades, une exposition rétrospective sur la vie du quartier ou encore, une fête des voisins. Les liens se sont renforcés en juin dernier avec l’inauguration d’un composteur commun aux riverains et au restaurant universitaire. Les riverains imaginent à présent d’implanter des jardins partagés dans l’enceinte du campus, soit dans la plaine des loisirs, soit dans les parcelles encore non aménagées.
Veiller aux usages
De campus magnifique et neuf, Artem voudrait passer au stade de campus durable et responsable. Les architectes ont prévu un équipement vertueux. Reste à veiller aux usages.
Claire Simonnet
Le site se prévaut entre autres de l’un des plus grands puits canadiens d’Europe qui tempère la galerie grâce à une puissance de 20.000 m3/h par module. Il arbore également des toitures végétalisée, un réseau de chaleur alimenté par des énergies renouvelables et des systèmes de récupération des eaux pluviales. Mais aucune maîtrise d’œuvre ne saurait éviter les lumières allumées nuit et jour ou les sols jonchés de mégots. Des associations étudiantes revendiquent une vigilance environnementale au quotidien tout en esquissant des projets de circuits courts.
L’arrivée des 5.000 étudiants d’Artem a incontestablement régénéré un quartier naguère réglé comme du papier à musique par le rythme militaire.
Lorsque nous avons emménagé rue Vauban en 2008, le quartier s’ouvrait sur des grues et sur des terrains vagues et la plupart des petits commerces avaient mis la clé sous la porte. Dix ans plus tard, les bars et les échoppes sont de retour, une crèche a ouvert et les difficultés de stationnement prouvent qu’il y a beaucoup plus de monde.
Un couple de riverains
La mobilité ne constitue pas la plus grande réussite du campus. Il est certes desservi par une station de tram – bondé aux heures de pointe – et par une unique ligne de bus, mais les étudiants ont aussi des voitures, à en juger par les embouteillages qui saturent le quartier aux heures de pointe. Nicolas Michelin avait imaginé un cheminement d’espaces verts reliant la plaine des loisirs d’Artem au jardin de la Pépinière qui jouxte la place Stanislas en hypercentre de Nancy. Séduisant, le projet suppose de renforcer le réseau de pistes cyclables.
Déstabilisation d’un campus excentré
De par son ampleur, le projet Artem a présenté une incidence sur plusieurs sites de l’agglomération. En centre-ville, l’espace laissé vacant par l’école des Mines permettra de regrouper les services du rectorat. L’Institut supérieur d’administration et de management (Insam) fera bon usage de l’espace libéré par l’ICN et l’IAE dans le périmètre central de Nancy Grand Cœur. Les anciens locaux de l’école d’art servent quant à eux d’hébergement de fortune aux étudiants de l’école d’architecture de Nancy depuis l’effondrement d’une partie de leur façade en mai 2017. Cette solution provisoire risque de durer, car les litiges s’annoncent copieux et les travaux, coûteux.
Le projet Artem n’aura donc pas laissé de friches, sauf sur le campus Aiguillettes, qui abrite la faculté de sciences et de technologie à Vandoeuvre-les-Nancy. Le regroupement des laboratoires de recherche sur les matériaux a l’institut Jean Lamour a contribué à déstabiliser un campus déjà fort décati et criblé de dents creuses.
Un collège Artem
Nouvelle place forte universitaire de la ville, le quartier Haussonville – Blandan s’apprête en outre à accueillir le collège Artem, qui présentera une capacité de 400 à 450 élèves. Le conseil départemental de Meurthe-et-Moselle a retenu l’agence parisienne Mu-Architecture pour réaliser ce bâtiment bioclimatique de 2.700 mètres carrés de surface utile et d’un coût de 12 millions d’euros. Le Centre de formation des apprentis de la ville s’implantera début 2022 sur l’une des dernières emprises disponibles d’Artem. Le projet d’un montant de 18 millions d’euros parachèvera une offre d’enseignement allant du collège à bac + 8, en intégrant l’apprentissage.
L’ancien quartier de casernes se prépare également à renouer avec le rêve thermal qui surgit brièvement au début du XXème siècle en bordure du parc Sainte-Marie, avant de s’engloutir dans la tourmente de la Première guerre mondiale. Le groupe Valvital a obtenu en 2018 une délégation de service public d’une durée de 30 ans pour réhabiliter l’ancien parc thermal, dont la célèbre piscine ronde Art nouveau, et accoler au bâtiment historique un vaste complexe de bassins, saunas et hammam. Un nouveau site thermal accueillera des curistes et des sportifs souffrant des ligaments. Le projet suscite quelques remous, notamment à propos d’un montage financier jugé contestable. Mais nombre d’habitants du quartier se réjouissent de l’émergence d’un nouvel équipement de prestige qui confortera la qualité de vie tout en rehaussant la valeur patrimoniale de leurs biens. D’aucuns envisagent déjà d’aménager leur maison pour pouvoir y loger de futurs touristes.
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