Le traité d’Aix-la-Chapelle préconise le rapprochement des formations et des diplômes, pose les jalons d’une nouvelle gouvernance et permet d’expérimenter des zones économiques binationales. Dans le Grand Est, les acteurs de la coopération transfrontalière accueille cette évolution avec un optimisme – et perplexité.
Non, le traité d’Aix-la-Chapelle ne livrera pas l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne ! Cette réactualisation du traité de l’Elysée, qui entre en application au 1er avril, entérine simplement une volonté accrue de coopération franco-allemande, notamment en matière de formation et d’intégration économique. Résolument vague pour ne pas cantonner les initiatives escomptées dans des domaines trop ciblés, le traité donne lieu à des interprétations divergentes, voire même, à des fake news manifestes. Son contenu se garde pourtant bien d’écorner les souverainetés respectives des deux Etats, mais ouvre la voie à une coopération renforcée dans les zones frontalières du Grand Est. Dans des espaces bien déterminés, le traité d’Aix-la-Chapelle esquisse un nouveau modèle de zones économiques intégrées dotées d’une gouvernance particulière. Inscrit dans la continuité du projet de règlement du Parlement européen du 29 mai 2018, qui propose de créer un mécanisme de levée des obstacles juridiques et administratifs dans un contexte transfrontalier, il concerne potentiellement 150 millions d’Européens vivant aujourd’hui à moins de 100 kilomètres d’une frontière.
Aux bordures du Grand Est, les acteurs de la coopération transfrontalière voient dans le nouveau traité un signal bienvenu après des années de stagnation. Outre la promotion du bilinguisme, les deux Etats s’engagent à « des actions en faveur de la reconnaissance des diplômes et à la mise en place d’outils d’excellence franco-allemands pour la recherche, la formation et l’enseignement professionnel, ainsi que de doubles programmes franco-allemands intégrés relevant de l’enseignement supérieur ».
Enseignement supérieur et alternance
Cette perspective intéresse au plus haut point l’Isfatès (Institut supérieur franco-allemand de technique, d’économie et de science) basé à Metz, qui a formé en 40 ans 3.000 diplômés dans le cadre d’un cursus franco-allemand ouvert à l’international. L’établissement se heurte à un verrou juridique qui empêche les élèves ingénieurs français d’effectuer une formation en alternance en Allemagne, alors même que la possibilité de stages en France est ouverte aux étudiants allemands.
L’ouverture de l’alternance au niveau de l’enseignement supérieur constituerait un atout non seulement pour les élèves ingénieurs, mais aussi pour les adultes germanophones souhaitant relancer leur carrière. La coopération industrielle franco-allemande constitue une opportunité extraordinaire, car l’industrie a besoin de ressources.
Gabriel Michel, directeur de l’Isfatès
L’école s’est associée au projet Interreg Bridge, piloté par la Hochschule fur Technik und Wirtschaft (HTW) de Sarre, qui vise à étendre à l’ensemble de la Grande Région, qui regroupe la Sarre, la Lorraine, le Luxembourg, la Rhénanie-Palatinat et la Wallonie, un dispositif d’alternance transfrontalier n’existant jusqu’à présent qu’entre l’Alsace et le Land voisin du Bade-Wurtemberg. Treize partenaires universitaires et institutionnels ont coopéré indépendamment de l’élaboration du traité d’Aix-la-Chapelle pour déposer en avril ce projet sur lequel les fonds européens statueront en septembre prochain.
Cette coïncidence tombe à pic, puisque les projets Interreg doivent justifier de leur cohérence avec les politiques nationales.
Thomas Bousonville, directeur de la HTW
Une volonté bilatérale
Le rapprochement aux frontières passe aussi par l’élimination des obstacles qui empoisonnent au quotidien la vie des frontaliers – et notamment des quelque 50.000 Lorrains et Alsaciens travaillant en Allemagne. D’insidieuses frontières se reconstituent à propos des autorisations d’exercer, des normes, des polices d’assurance ou de la téléphonie. Le traité d’Aix-la-Chapelle a le mérite de reconnaître ces mille petits tracas et de créer des instances susceptibles d’y remédier.
Pour la première fois depuis longtemps, nous constatons une volonté de rapprochement à la fois bilatérale et transfrontalière. Cette synchronisation permet de concrétiser sur des territoires donnés des projets franco-allemands qui pourront être transposés sur d’autres frontières européennes.
Christophe Arend, député LRM de la circonscription de Forbach, initiateur de la toute jeune Assemblée nationale franco-allemande et membre actif de l’élaboration du traité d’Aix-la-Chapelle
Pour l’heure, il n’est pas question de modifier les lois : le traité précise explicitement que « les deux Etats demeurent attachés à la préservation de normes strictes dans les domaines du droit du travail, de la protection sociale, de la santé, de la sécurité et de la protection de l’environnement ». Mais il crée un comité de coopération transfrontalière qui déterminera les projets prioritaires, analysera les difficultés rencontrées et émettra des propositions afin d’y remédier.
Cette instance permettra de se concerter à plusieurs et de créer une relation plus constante. Nous nous réjouissons de voir apparaître un nouvel outil, même si nous ne connaissons pas encore son fonctionnement, puisque personne ne l’a encore utilisé.
Céline Laforsch, juriste à la Task Force transfrontalière
Cette institution est spécifiquement dédiée au droit des travailleurs frontaliers.
Droits nationaux
Au terme du traité d’Aix-la-Chapelle, les collectivités locales et les eurodistricts des territoires frontaliers, qui siégeront aux comités de coopération, seront dotés « de compétences appropriées, de ressources dédiées et de procédures accélérées pour faciliter la réalisation des projets transfrontaliers ». Là encore, l’optimisme se dispute à la perplexité.
Le traité pourrait faciliter beaucoup de choses, notamment en matière de mobilité et de transports et de reconnaissance des diplômes. Reste à savoir ce que les acteurs de la coopération en feront. Il leur reviendra de réclamer des transformations.
Isabelle Prianon, directrice de l’eurodistrict SaarMoselle
L’organisme, qui s’implique entre autres dans la construction d’une crèche transfrontalière, essuyer les plâtres d’une législation particulièrement complexe en matière d’accueil de la petite enfance – car les qualifications des aides maternelles françaises ne sont pas suffisantes pour pouvoir exercer en Sarre.
Les « zones économiques franco-allemandes dotées de règles communes » inscrites à l’article 20 du traité résoudront-elles ce type de casse-tête ? Pour l’heure, ce sont bien les droits français ou allemands qui s’y appliqueront, à moins que les partenaires ne parviennent à instaurer des dérogations ponctuelles sur des projets précis. La perspective n’inquiète pas outre mesure Dominique Toussaint, secrétaire général Grand est de la CFDT – elle-même membre de la plateforme syndicale de la Grande Région.
Compte tenu des différences de législation entre les deux pays, nous sommes plutôt favorables à un droit cousu-main – à condition que les partenaires sociaux aient toute leur place dans ces expérimentations.
Dominique Toussaint
La CGT Grand Est, adhérente de cette même plateforme, se montre plus circonspecte :
Si le droit social allemand peut s’appliquer à Fessenheim, il pourra en être de même du droit luxembourgeois pour des projets situés en Lorraine. Le traité d’Aix-la-Chapelle pourrait fournir l’occasion de renégocier un socle social européen, mais la conjoncture actuelle laisse craindre que l’on s’accorde surtout sur le moins-disant.
Denis Schnabel, secrétaire régional de la CGT
Le Territoire d’avenir esquissé à Fessenheim ne lèvera sans doute pas toutes ces incertitudes, mais il donnera à l’ensemble des partenaires une première expérience… de l’expérimentation.
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