Spécialiste du décryptage informatisé de documents bancaires, la fintech luxembourgeoise a implanté dans un village meusien une équipe d’annotateurs. Fertile et connecté, le milieu rural s’avère propice à ce nouveau métier qui couple compétence humaine et intelligence artificielle.
Docteur en philosophie et mathématicien, Christian Gillot, fondateur de la fintech luxembourgeoise Tetrao, a résolu en un an une équation complexe en rapprochant deux métiers émergents et deux environnements professionnels radicalement différents. En 2014, il a monté à Luxembourg-ville une équipe d’ingénieurs spécialisés en robotique cognitive pour proposer aux institutions financières et bancaire un décryptage analytique de leurs documents. Ouvert, cosmopolite et en pleine expansion, le Grand-Duché constitue une place de choix pour recruter des data-scientists. Mais leurs algorithmes ne sont opérationnels qu’au terme d’un long et méticuleux travail consistant à apprendre à l’ordinateur où et comment repérer les informations dans les documents qui lui sont soumis. Ce nouveau métier d’annotateur requiert une main d’œuvre concentrée et motivée travaillant de préférence dans un environnement calme. Le Luxembourg, sa main d’œuvre rare et chère, ses loyers élevés et son accès difficile ne s’y prêtaient nullement.
Meusien d’origine, Christian Gillot a donc choisi de constituer son équipe d’annotateurs à Bras-sur-Meuse, dans l’agglomération verdunoise.
Créée en novembre 2018, Tetrao France emploie 7 personnes et doublera ses effectifs d’ici à fin 2019. Ce métier inconnu pratiqué dans un village de 734 habitants aurait pu connaître des débuts difficiles. Il s’est pourtant ancré et développé à grande allure dans un environnement finalement fort propice.
Lors de notre inauguration, nos premiers salariés ont effectué des démonstrations devant un public très intéressé par l’intelligence artificielle. Dans la foulée, nous avons reçu une cinquantaine de candidatures sans même avoir passé une annonce !
Ludivine Rénier, gérante de Tetrao France
Dans un métier sans antériorité, il ne pouvait être question d’exiger une expérience. Les annotateurs de Tétrao ont été ambulancier, ouvrier ou employée de call-centers avant d’apprendre à décortiquer des documents pour repérer les tâches que le logiciel devra réaliser. Ainsi, la question « qui détient la signature » peut appeler plusieurs réponses : le dirigeant, son fondé de pouvoir ou le détenteur d’une procuration temporaire.
Ces tâches, qui étaient jusqu’à présent considérées comme subalternes, deviennent un métier à part entière. La société n’en a pas encore pris la mesure, mais l’intelligence artificielle appliquée à des processus administratifs représente un potentiel énorme qui se concrétisera forcément.
Christian Gillot, dirigeant de Tetrao
Ancien enseignant à l’Université de Lorraine, le dirigeant n’exclut pas de formaliser une formation.
Pour l’heure, les annotateurs se forment mutuellement par le biais d’une sorte de Wikipédia interne dans lequel ils consignent les procédures, les définitions et les difficultés rencontrées au cours des différentes annotations.
Ce nouveau métier est d’autant plus motivant que tout est à construire. Les salariés ont par ailleurs la satisfaction de progresser eux-mêmes, mais aussi, celle de voir progresser leur machine.
Ludivine Rénier
Le logiciel intégrant de plus en plus de données, les obstacles problèmes se raréfient, mais deviennent plus complexes. Les équipes d’annotateurs et de data-scientists échangent quotidiennement et se rencontrent plusieurs fois par mois en Meuse ou au Luxembourg, tant les deux métiers sont interdépendants.
Les premiers annotateurs meusiens ont débuté au Luxembourg, où les charges sociales se limitent à 25 % du coût employeur. Ils percevaient donc un salaire plus élevé, mais gagnent en qualité de vie en s’épargnant d’interminables bouchons.
Lorsqu’ils sont bien connectés, les territoires ruraux correspondent aux attentes contemporaines des salariés. Les nouveaux métiers remplaceront peut-être ceux que l’industrie ne crée plus.
Julien Didry, maire de Bras-sur-Meuse
L’élu a implanté dans les locaux de la mairie un « Workici » qui accueille une dizaine d’entreprises. Bras est ainsi devenue la seule commune française de moins de 1.000 habitants à décrocher le prestigieux label 5 arobases.
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