Porté par les écoles d’architecture de Nancy et de Strasbourg, le Domus Lab confronte les étudiants à des cas concrets de réhabilitation ou de construction. Les premiers ateliers ont apporté aux maîtres d’ouvrage une fraîcheur, une liberté et une créativité que les différents acteurs du laboratoire se proposent à présent de formaliser davantage.
Trois ans après son lancement, Domus lab a déjà permis de formaliser trois triptyques. Le postulat de base visait à associer architecture, sociologie et technique dans un même module d’enseignement. Le champ d’investigation, initialement centré sur la transformation d’un ancien sanatorium en logements sociaux, s’est élargi à l’habitat des Trente Glorieuses et aux résidences pour personnes âgées. De ces expériences différentes a émergé une méthodologie de mieux en mieux validée associant exploration, démonstration et discussion.
Domus Lab va au-delà de notre vocation initiale, qui consiste à former les professionnels de l’architecture. L’expérience a ouvert un espace où habitants, étudiants, politiques et bailleurs se donnent le temps de réfléchir en-dehors des contraintes du contrat. Il se forme ainsi une bulle de liberté où tout le monde a tout à gagner.
Nadège Bagard, architecte enseignante à l'école à l’Ecole nationale supérieure d’architecture (Ensa) de Nancy et pilote l'expérimentation
Domus Lab est issu d’un appel à projets lancé à l’automne 2016 par la Caisse des Dépôts et l’Union sociale de l’habitat sur le thème de l’architecture de la transformation. Lauréat du concours, le projet « Villemin Lab », doté d’un budget de 200.000 euros, a associé le bailleur Batigère, les Ensa de Nancy et de Strasbourg à la reconversion de l’hôpital Villemin, une friche hospitalière en déshérence depuis dix ans. Pour mieux concevoir la transformation de ces bâtiments centenaires en logements modernes, une quinzaine d’étudiants et de doctorants a commencé par réunir une somme considérable de documents sur l’architecture de la transformation. Dans cette phase préparatoire, ils ont également questionné le bailleur sur ses attentes, essentiellement liées à l’isolation thermique et à la rationalisation de l’espace.
Encadrée par deux enseignants coordinateurs, l’équipe s’est ensuite installée in-situ pour trouver le meilleur usage de la hauteur et la profondeur des pièces. Ils ont tiré parti des plafonds de 4 mètres de haut en créant des mezzanines ou des espaces de rangement. Ils ont aussi conçu des espaces modulables jour/nuit, sortes de boîtes permettant de glisser un lit sous une table ou de déplacer les cloisons pour créer une pièce virtuelle complémentaire. Pour convaincre le bailleur sceptique, ils ont construit trois prototypes à l’échelle 1 au rez-de-chaussée de l’ancien sanatorium.
Le Vuillemin Lab nous a fait grandir intellectuellement. L’expérience a enrichi notre méthodologie pour aborder la reconversion d’autres bâtiments du même type. Nous n’avions jamais eu auparavant l’occasion d’expérimenter des aménagements in-situ.
Sébastien Tilignac, directeur général délégué de Batigère
Le bailleur n’a pas retenu les suggestions d’espaces modulables jour/nuit, la taille des logements ne le justifiant pas. Il a en revanche acté le principe des mezzanines considérées comme des surfaces habitables ou comme des surfaces annexes, quand leur hauteur ne correspond pas aux normes en vigueur.
Idées hardies
Pérennisé sous l’intitulé de Domus Lab, le Villemin Lab s’est penché pour sa deuxième édition sur un cas d’école soumis par Meurthe-et-Moselle Habitat (mmH). Le bailleur du département souhaitait réhabiliter l’immeuble Suffren à Villers-les-Nancy, un ensemble d’une soixantaine de logements caractéristique de l’habitat des Trente Glorieuses.
Cet immeuble bien situé figurait dans notre plan de développement du patrimoine. Nous attendions des étudiants qu’ils nous donnent des idées, et nous n’avons pas été déçus !
Audrey Dony, directrice de l’immobilier et du développement de mmH
Reprenant la méthode éprouvée dans le Vuillemin Lab, l’atelier « A rafraîchir » a réuni 26 étudiants en master qui se sont installés dans un appartement T2 durant plusieurs semaines. En les accueillant pour l’apéro ou en leur rendant visite, les étudiants ont recueilli le ressenti des habitants pour guider le bailleur dans ses choix. Ces derniers se sont déclarés globalement satisfaits du bâti, souhaitant surtout une meilleure isolation phonique et thermique. Bien qu’ancienne, leur salle de bains leur convenait très bien et ils ne souhaitaient ni balcon, ni ascenseur. Ils estimaient en revanche que les espaces extérieurs laissaient à désirer.
Ces avis pondérés n’ont pas empêché les étudiants de faire preuve, tantôt d’une technicité poussée, tantôt d’une imagination débridée. Les 26 copies ont parfois consigné des propositions très hardies, comme la construction de maisons sur les toits ou celle d’une promenade intérieure à la Le Corbusier.
Nous ne demandions pas aux étudiants d’être réalistes, mais nous les avons confrontés à des réalités techniques et chiffrées. Nous nous sommes nourris de leurs réflexions et leur avons apporté notre expérience en échange.
Audrey Dony, architecte de formation, qui a participé à la notation des épreuves
Prolonger la réflexion
L’intérêt du Domus Lab n’a pas échappé au conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, qui a signé fin 2018 une convention triennale avec les deux écoles d’architecture. Le premier atelier, dont la restitution s’est tenue fin décembre, s’est porté sur une « résidence accompagnée » adaptée au vieillissement.
Nous avons besoin d’un équipement évolutif qui puisse accompagner la perte d’autonomie sans engendrer de trop grosses transformations. L’apport des étudiants peut être utile aux collectivités et aux bailleurs, notamment dans le cadre de l’appel à projets de la région Grand Est sur les problématiques du vieillissement.
Sandrine Gégout, responsable du service habitat du département
Les étudiants ont travaillé sur un projet de résidence accompagnée dans le village de Piennes, en se basant sur deux établissements de ce type déjà implantés à Villerupt et à Cirey-sur-Vezouze. A partir d’un emplacement vierge, ils ont imaginé un ensemble d’une vingtaine de T2 et T3 autonomes complété par des espaces communs et par un local où sera implanté le Carrefour d’accompagnement public social (Caps). Leurs planches et maquettes déclinent les thématiques du jardin public, collectif et privatif, intègrent des animaux – chèvres et basse-cour – au lieu de vie ou encore, remettent au goût du jour la convivialité des villages-rues d’antan. A l’intérieur des logements, les étudiants ont prévu la possibilité de se parler d’une fenêtre à l’autre et de préserver la vue sur le paysage même en restant alité.
Les étudiants ont bien travaillé et il serait dommage que leurs idées se perdent. A ce stade, une thèse de doctorat pourrait permettre de synthétiser les propositions les plus pertinentes et les mieux transposables.
Sylvie Chapron, en charge des partenariats universitaires au conseil départemental de Meurthe-et-Moselle
Les ateliers du Domus Lab se consacreront au cours des deux prochaines années à la construction d’un logement social, puis à la réhabilitation de logements existants.
A la fois proches du terrain et nourris de la recherche universitaire, les ateliers du Domus Lab affinent leur méthodologie, mais leur durée d’un semestre paraît à présent trop limitative. Une thèse Cifre auprès d’une collectivité, d’un bailleur ou d’un service de l’Etat permettrait d’en pérenniser les acquis.
Le Domus Lab a fait jaillir un foisonnement d’idées qu’il convient à présent d’évaluer et de tester plus finement. Assez courante dans le milieu de l’industrie, la thèse Cifre ouvrirait la voie à trois ans de recherche encadrée et structurée dans le domaine de la construction.
Nadège Bragard
La recherche en architecture in situ pourrait faire évoluer la profession elle-même : les maîtres d’oeuvre ne se contenterait plus d’appliquer un ensemble de normes, mais contribueraient à les enrichir en explorant le terrain.
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