La Sarre déploie sa « Frankreichstrategie », généralisant l’apprentissage du français. La stratégie française est plus embryonnaire.
L’annonce avait fait sensation. Fin 2013, Annegret Kramp-Karrenbauer, présidente CDU de la Sarre, annonce le lancement de la « Frankreichstrategie », visant à faire du français la deuxième langue officielle du Land. Jamais une région d’Allemagne – et sans doute même d’Europe – ne s’était jusqu’alors fixé pour objectif d’enseigner la langue du voisin à toute sa population en l’espace de trois générations. A la fois utopique et pragmatique, la feuille de route, reconduite en octobre pour deux ans mobilise le système scolaire sarrois depuis les « Kindergärten » (équivalents allemands de l’école maternelle) jusqu’à l’université pour inculquer l’usage du français, sans préjudice de celui de l’anglais. Les associations, les entreprises et les administrations sont mises à contribution.
Au-delà du symbole, la « Frankreichstrategie » poursuit des objectifs explicitement économiques.
La France constitue le premier partenaire de nos entreprises . La Frankreichstrategie nous aidera à développer nos marchés à l’export et facilitera le recrutement, voire l’installation de travailleurs français en Sarre.
Olivier Groll, directeur de la IHK Saarland, homologue sarroise de la CCI
Selon lui, plus d’une centaine ont implanté une filiale en Lorraine et certaines usines sarroises comptent plus de la moitié de travailleurs français.
Le Grand Est a conscience de l’intérêt que présenterait le rééquilibrage entre des territoires français minés par le chômage et des voisins allemands guettés par le déclin démographique et le manque de main-d’oeuvre. En réponse à la « Frankreichstrategie », le conseil régional de Lorraine a élaboré une « stratégie Allemagne » axée sur l’apprentissage de la langue et l’intensification des coopérations (universitaires, économiques et culturelles….). L’idée s’est frayé un chemin jusqu’au nouveau conseil régional Grand Est, mais, dans les orientations budgétaires 2017, seuls 629.000 euros sont dédiés à la coopération transfrontalière sur un montant global de 2,8 milliards d’euros.
Pour l’instant, le Grand Est apprend à vivre avec lui-même. Il doit mettre en cohérence les politiques des anciennes régions avant de définir sa politique internationale et transfrontalière.
Jean-Luc Bohl, premier vice-président du conseil régional
La coopération progresse
Sur le terrain, la coopération entre le Grand Est et ses voisins progresse néanmoins. Pôle emploi a instauré en Alsace et en Lorraine des services de placement transfrontaliers communs avec les « Arbeitsagenturen » de Sarre, de Rhénanie-Palatinat et du Bade-Wurtemberg. L’Alsace puis la Lorraine ont signé avec les Länder limitrophes des accords-cadres permettant aux apprentis d’effectuer des stages de part et d’autre de la frontière. Deux enseignes sarroises, Möbel Martin et Globus, ont utilisé ce dispositif complexe pour former une quarantaine d’étudiants dans le cadre de BTS en alternance. Bilingue et qualifiée, cette main-d’oeuvre permettra d’accueillir dans de meilleures conditions une clientèle en bonne partie française.
A Kehl, commune allemande limitrophe de Strasbourg, l’aciérie BSW a intégré huit jeunes Alsaciens dans son centre de formation pour un cursus de quatre ans, dont un an consacré à l’apprentissage de l’allemand. Les stagiaires sont assurés d’une embauche au terme de leur formation, qui aura mobilisé 75.000 euros par apprenti et par an.
Encore marginaux, ces nouveaux dispositifs permettront peut-être aux demandeurs d’emploi du Grand Est de renouer avec le marché du travail allemand. Au cours des dernières décennies, la barrière de la langue, les freins psychologiques et la difficulté d’accéder à des postes de plus en plus qualifiés ont ralenti les flux frontaliers. Seuls 24.000 Lorrains et 25.500 Alsaciens travaillent en Allemagne, alors même que les prévisions à l’horizon 2030 pointent un déficit de 450.000 actifs dans les trois Länder frontaliers du Grand Est.
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