Secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, Harlem Désir revient, dans des réponses écrites aux questions de Correspondances lorraines, sur les avancées de la coopération transfrontalière. Le gouvernement entend soutenir la Stratégie Allemagne du Grand Est, revendique son bilan en matière d’ouverture du marché du travail et voit dans la réforme territoriale l’opportunité de renforcer la position de la Région vis-à-vis des pays frontaliers.
Le 7 juillet 2015, la déclaration de Metz sur la coopération transfrontalière promettait d’impulser un nouvel élan à la coopération transfrontalière franco-allemande. Dix-huit mois plus tard, comment cette ambition s’est-elle traduite en matière d’emploi et de formation ?
La Conférence de Metz sur la coopération transfrontalière franco-allemande a donné une nouvelle impulsion à notre coopération dans ce domaine, permis d’obtenir des avancées concrètes, notamment sur l’ouverture transfrontalière du marché de l’emploi. Plus de 3 000 personnes ont trouvé un emploi grâce à l’activité des services de placement transfrontalier depuis 2013. La convention-cadre entre Pôle Emploi et la Bundesagentur für Arbeit a été renouvelée pour la période 2016-2018 avec comme but une offre des services de placement transfrontalier standardisée. Ce sera un progrès pour les demandeurs d’emploi et les employeurs. Un 5ème centre a également récemment été ouvert entre les communes de Sélestat, Emmendigen et Lahr pour permettre notamment d’appuyer les besoins de recrutement pour les deux importants employeurs locaux, le parc de loisirs Europapark de Tust et la plateforme logistique de Zalando. Les services de placement transfrontalier sont ainsi devenus des acteurs incontournables au service de la mobilité professionnelle transfrontalière.
Mais nous voulons aller plus loin et lever les derniers freins à cette plus grande intégration transfrontalière des marchés de l’emploi que sont les barrières linguistiques et les questions liées à la reconnaissance des diplômes et des formations. Des progrès importants ont été enregistrés en matière de formation professionnelle transfrontalière, avec un nombre croissant de contrats conclus, mais nous devons faire plus : il faut poursuivre le travail pour renforcer les connaissances linguistiques des apprentis et développer l’information à nos concitoyens sur le marché de l’emploi du pays partenaire. Les gouvernements français et allemand viennent de présenter à Berlin un plan d’action pour la mobilité, qui permettra d’approfondir encore cette coopération entre nos deux pays en matière d’emploi.
Comment l’Etat soutient-il le développement de la Stratégie Allemagne du Grand Est ?
Nous croyons à cette stratégie de la région Grand Est et elle est un laboratoire de l’Europe de demain. L’Etat porte une attention particulière à l’apprentissage de l’allemand dans la région, dans le cadre de la nouvelle carte des langues. 98 % des classes bilangues sont notamment maintenues dans l’académie de Nancy-Metz. Une bonne coordination est en place au niveau local entre les académies et les acteurs allemands sur le détachement de professeurs allemands en France. Une connaissance linguistique mutuelle de qualité est l’une des clefs de la réussite de cette stratégie.
Cette stratégie doit également reposer sur un dynamisme économique et des échanges facilités pour nos entreprises. Le dispositif des clusters est à ce titre prometteur et offre des opportunités importantes pour accroître les échanges entre les acteurs économiques et créer des emplois, voilà pourquoi nous le soutenons. Il est encore trop tôt pour tirer un bilan complet mais les premiers retours sont positifs.
Le secrétariat d’Etat aux affaires européennes est-il disposé à soutenir les revendications du Nord lorrain, qui espère obtenir du Luxembourg une péréquation fiscale pour contribuer à ses propres dépenses d’aménagement du territoire ?
La coopération entre la France et le Luxembourg en matière de fiscalité est matérialisée par la convention fiscale du 1er avril 1958 tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune.
La Commission franco-luxembourgeoise (CIG) pour le renforcement de la coopération transfrontalière, qui se réunit tous les ans, pilote des projets et émet des propositions de nature à lever les obstacles, notamment en matière de développement et d’aménagement des territoires.
Je préside, au nom du Gouvernement français, cette CIG avec la Ministre de la Famille et de l’Intégration, Ministre à la Grande Région du Grand-Duché du Luxembourg, Mme Corinne Cahen, et je veille tout particulièrement à ce que les questions qui touchent à la vie quotidienne des travailleurs transfrontaliers ainsi que les projets de développement concertés de part et d’autre de la frontière fassent l’objet d’un travail approfondi en commun. Dans ce cadre, je suis particulièrement attentif aux problématiques transfrontalières liées à la péréquation fiscale. Avec Christian Eckert, nous en parlons régulièrement avec nos collègues luxembourgeois et nous souhaitons faire avancer ce dossier.
Comment le Grand Est pourra-t-il à terme s’inscrire dans une gouvernance transfrontalière ?
L’avenir du Grand Est passe par son inscription dans une logique transfrontalière, c’est sa grande force. C’est la dynamique que nous avons lancée avec le gouvernement, en lien avec les collectivités territoriales. Nous avons notamment mis en place des conseillers diplomatiques auprès des préfets de région. Ils ont vocation à apporter tout l’appui nécessaire pour traiter de l’ensemble des enjeux ayant une dimension internationale et européenne dans la région. Ils seront particulièrement mobilisés pour appuyer les actions en faveur du développement international et de l’attractivité des territoires dans les domaines de l’économie, de l’éducation, de l’enseignement supérieur, de la santé, de la culture et du tourisme. Ce conseiller diplomatique contribue aussi aux coopérations décentralisées entre collectivités. Dans une région frontalière, son rôle sera essentiel en soutien aux préfets compétents en matière de coopération transfrontalière, en lien avec les services déconcentrés de l’Etat, et en favorisant la relation avec les missions diplomatiques et consulaires françaises situées dans le pays frontalier.
La réforme territoriale conduite par le gouvernement a simplifié les structures, c’est une réforme que personne n’avait osé mener auparavant alors que tout le monde s’accordait sur sa nécessité : il n’y a désormais plus qu’une seule région le long des frontières avec l’Allemagne et le Luxembourg. Nous avions besoin de grandes régions françaises pour agir à l’échelle de l’Europe de façon dynamique et nous l’avons fait.
La réforme territoriale renforce la mission des régions en matière de développement économique mais leur impose également d’élaborer, dans un délai d’un an, un Schéma Régional de Développement Economique, d’Innovation et d’Internationalisation (SRDEII) pouvant contenir un volet transfrontalier. Ce schéma est en cours d’élaboration par la région Grand Est et il serait naturellement très souhaitable que les aspects transfrontaliers de son développement économique soient étudiés et exploités le plus possible.
Comment renforcer auprès des citoyens du Grand Est le sentiment d’une appartenance commune appartenance à une Eurorégion commune ?
Je pense que ce sentiment existe déjà des deux côtés des frontières et c’est un succès des coopérations franco-allemande et franco-luxembourgeoise. Mais vous avez raison, il faut renforcer ce sentiment et nous y travaillons. Une réflexion est par exemple en cours entre la France et l’Allemagne sur la redynamisation des jumelages entre communes. Des initiatives comme le réseau Gepaco (GEmeindePartner, partenaires communaux), qui a fait ses preuves dans la Grande Région, peuvent favoriser les échanges de bonnes pratiques.
Mais ce sentiment d’appartenance est aussi un défi à relever pour notre jeunesse. Ainsi, le « Forum Intergénérationnel » mis en place par Commission franco-allemande de la Jeunesse (CFAJ), encourage le dialogue entre les générations dans le cadre des jumelages. Le but est de créer un lien entre les jeunes engagés et les acteurs expérimentés du domaine des jumelages franco-allemands afin de mettre en place le «Jumelage 2.0». Le prochain « Forum Intergénérationnel » aura d’ailleurs lieu au mois d’octobre 2016. La jeunesse doit être la priorité numéro un de l’Europe : les expériences transfrontalières et le sentiment d’appartenance à une « Euro-région » doivent y contribuer.
Propos recueillis par Pascale Braun
--Télécharger l'article en PDF --