Selon votre rapport, le dumping lié à la surproduction chinoise fait courir un péril imminent à la sidérurgie européenne. Ne s’agit-il pas là d’un aléa classique pour une activité cyclique par nature ?
La sidérurgie connaît bien sûr des creux de cycle, mais actuellement, la consommation d’acier en Europe est plutôt stable, voire même en croissance. La crise du bâtiment entraîne une surcapacité pour les produits longs, mais ce n’est pas le cas des aciers plats que l’Europe est obligée d’importer. Le problème tient bien à la surcapacité de la Chine évaluée à 350 millions de tonnes, soit le double de la production annuelle de l’Europe, qui se monte à 175 millions de tonnes ! La Chine, qui avait connu une très forte demande au début des années 2000, a subi un retournement de situation après les Jeux olympiques de Pékin, puis un net ralentissement économique.
Or, le gouvernement chinois ne veut pas baisser le régime de sa production d’acier. Il pratique donc une politique de dumping ciblé sur l’Europe. Le cours de la tonne est passé de 400 euros en septembre 2014 à 256 euros en fin d’année dernière. Ce prix ne correspond absolument pas au prix du marché et ne couvre même pas les coûts de production. Cette politique risque de tuer la sidérurgie européenne à court terme.
2016 sera une année cruciale : soit la Commission européenne prend la mesure de la situation, soit elle la laisse empirer. Si c’est le cas, on peut compter sur moi pour tacler ceux qui viendront verser des larmes de crocodile sur les plateaux télé !
Vous vous êtes rendu dans dix pays européens avant de rendre votre rapport. Les sidérurgistes, les syndicats et les ONG que vous avez rencontrés partagent-ils votre analyse ?
Oui. Toute l’Europe s’inquiète. En Grande-Bretagne, le sidérurgiste SSI UK a fermé en octobre son site de Repcard, entraînant 1 700 suppressions d’emploi. En Europe, ArcelorMittal gèle ses investissements pour 2016 et s’apprête à clôturer l’année sur une perte de 100 millions d’euros sur son site de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône).
L’inquiétude est identique chez Tata Steel ou chez ThyssenKrupp. Les producteurs européens savent qu’ils ne pourront pas être compétitifs face à des concurrents qui payent leurs salariés 80 dollars par mois et s’affranchissent des contraintes environnementales. Tous les acteurs sont convaincus que l’Europe peut avoir une sidérurgie performante et respectueuse de l’environnement si on investit. Or, la directive européenne prévue pour 2020 risque de freiner l’investissement.
L’Europe entend augmenter le prix du CO2, pour le passer progressivement de 8 euros par tonne aujourd’hui à 16 euros en 2020 puis à 30 euros en 2030. Les industriels estiment qu’à ce prix, il leur sera impossible de résister à la concurrence de la Chine, de la Russie ou du Brésil.
Que préconisez-vous ?
Je demande à ce que toutes les importations soient soumises à un ajustement carbone pour garantir le traitement équitable de tous les producteurs. Sinon, l’Europe aura tout faux : ses sidérurgistes délocaliseront et les émissions de CO2 augmenteront à l’échelle de la planète. Le rapport demande également la mise en place d’une véritable politique de recyclage. Pour l’Europe, qui n’a plus de gisement d’acier, il s’agit d’une ressource intéressante.
Par ailleurs, il prévoit de laisser aux producteurs d’acier, de cuivre ou d’aluminium la possibilité de signer des contrats à long terme avec des fournisseurs d’énergie, ce qui n’est pas possible actuellement. L’exemple le plus frappant est celui de l’Espagne, où les coûts de l’énergie sont les plus élevés d’Europe et où les producteurs achètent l’énergie aux enchères pour une durée d’un an, au détriment de la visibilité et de la stabilité.
Comment votre rapport a-t-il été accueilli ?
Au début, il a fait grincer des dents. Les libéraux britanniques ont été les plus farouches opposants à des propositions qu’ils qualifiaient de protectionnistes. Mais le protectionnisme n’est pas un gros mot et laisser les choses en l’état consisterait à faire du protectionnisme à l’envers.
Le rapport a été adopté et bien voté. Le seul amendement qui ait été retoqué porte sur le rôle des représentants des salariés. Je souhaitais qu’ils aient plus de pouvoir, car ils connaissent bien les marchés et peuvent apporter des avis très utiles.
Quelles sont les prochaines étapes ?
La décision appartient au conseil des ministres de l’économie européens. J’ai adressé un courrier à Emmanuel Macron, qui affirmait en novembre dernier qu’il n’accepterait pas le dumping que pratique la Chine sur le marché mondial de l’acier.
Mais depuis, je ne l’ai plus entendu s’exprimer. A Strasbourg, j’ai également interpellé Jean-Claude Junker, qui s’est dit prêt à me suivre si les ministres de l’industrie du conseil de l’Europe votent les mesures prévues dans mon rapport. Mais j’entends surtout un silence coupable qui me laisse dubitatif. J’ai l’impression que tout le monde tremble devant le géant chinois.
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