Salle bondée et ambiance lourde dans salle des fêtes de la mairie de Forbach en cette soirée électorale. Un bon millier d’habitants se pressent entre les murs aux tentures brune, sous les néons blafards, scrutant les écrans qui affichent les résultats du vote. Laurent Kalinoswki, maire sortant socialiste, égrène les scores. Les premiers bureaux donnent le ton. Presque tous donnent Forbach bleu marine vainqueur.
Plus de soupirs catastrophés que d’applaudissements dans le public. Au fond de la salle, des jeunes Magrébins encaissent les chiffres du scrutin. 42 %, 35 %, 30 % pour le FN. A 26 %, on se surprend à penser que c’est peu. En moins d’une heure, les jeux sont faits. Sombre et calme, Laurent Kalinowski annonce le résultat final : 19 % pour la liste d’Eric Diligent, dissident de l’UMP ; 33 % pour la liste socialiste Ensemble pour Forbach ; 12 % pour Alexandre Cassaro, investi par l’UMP. Et 35,75 % pour Florian Philippot, numéro 2 du Front national parachuté dans un bassin houiller où il n’avait jamais mis les pieds avant d’y être candidat.
La presse nationale, nombreuse, recueille les premiers commentaires. Laurent Kalinowski invite les habitants à se ressaisir, rappelle que l’élection de Forbach n’est pas un enjeu national, mais un scrutin local dans lequel il entend défendre son bilan. Eric Diligent se félicite de son score et louvoie. Dans sa permanence, Alexandre Cassaro, désemparé, avoue ignorer ce qu’il fera dans deux jours, mais affirme vouloir tout faire pour que le Front national ne passe pas.
Coincé entre les voitures sur le parking de la mairie, Florian Philippot pose devant les caméras qui se le disputent à tour de rôle. Oui, c’est un vote d’adhésion. Oui, il espère remporter à Forbach sa première victoire municipale. Oui, il est content. Oui, il veut se montrer exemplaire et restaurer la sécurité. Seule variante locale du discours frontiste, Florian Philippot n’oublie jamais de citer la santé parmi ses préoccupations. L’argument ne peut que faire mouche dans un bassin houiller détenteur d’autres inquiétants records, notamment en matière de cancers et de maladies cardio-vasculaires.
Une femme se fraie un passage à travers la garde rapprochée du candidat frontiste, porteuse d’une pancarte confuse lui proposant un single (comprendre : un aller simple) vers ses pénates franciliennes. L’atmosphère se tend, les brutalités menacent. La femme parvient néanmoins à montrer sa pancarte à Florian Philippot, qui s’en bat l’œil. La tension est ailleurs. A quelques pas se tiennent quelques jeunes des quartiers les plus pauvres de la ville, dont celui du Bruch, où vivent quelque 350 familles de gens du voyage. Un vieux mineur connait le groupe, les aborde, tente de s’expliquer.
– « J’ai un grand-père qui a fait la guerre pour la France, l’autre pour l’Italie »
– « Oui, et alors, t’as voté pour qui ? »
– « J’ai voté pour le Front ».
– « T’as pas honte ! Tes anciens, là où ils sont, ils ne doivent pas être fiers de toi ! »
– « Kalinowsky, je l’ai voté (sic) il y a six ans, mais qu’est-ce qu’il a fait pour la ville ? » »
– « C’est pas une raison ! Marine Le Pen est allée danser avec un nazi autrichien le jour de la commémoration de la Shoa, son père a dit que les camps de concentration étaient un point de détail !»
– « Ca c’est pas vrai », rétorque le vieux.
Quiproquo ? Le vieux mineur voulait certainement contester que les chambres à gaz soient des détails. Un jeune du Bruch ne l’a pas entendu de cette oreille. Prêt à se battre, il ne s’adresse plus au vieux mineur, mais au groupe du Front national. « Les chambres à gaz, c’est pas n’importe quoi ! On n’est pas n’importe quoi ! Pédale ! », hurle-t-il, visiblement oublieux de l’extermination des homosexuels dans les mêmes camps que les Tsiganes. La police arrive, à distance, mais bien présente. Le jeune hurle encore. « Je les encule ! ». Ses compagnons parviennent à le calmer suffisamment pour l’emmener. Quelques hommes discutent encore dans la nuit fraîche. « Le plus triste, à Forbach, c’est que ce sont les pauvres qui s’attaquent entre eux », soupire l’un d’eux.
A Forbach, le quartier du Bruch regroupe 350 membres des gens du voyage. La municipalité a lancé voici une quinzaine d’années un programme immobilier inédit de 56 pavillons doubles conçus en concertation avec les habitants. Satisfaite de cet habitat, la communauté demande aujourd’hui la création d’un parc pour les enfants et la reconstruction d’une trentaine de vieilles cahutes ayant définitivement basculées dans l’insalubrité. Ses représentants ont contacté trois des quatre candidats, refusant tout contact avec un Front national honni.
Nous avons proposé aux candidats d’autres projets pour ouvrir le quartier vers la ville : des animations artistiques, des partenariats avec l’école de musique, des activités équestres. Nous avons bien reçus et attentivement écoutés. Nos projets devraient voir le jour… si nous avons à Forbach un maire normal.
Renardo Lorier, l’un des porte-parole de la communauté
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