La Suisse et le Luxembourg ne sont pas épargnés par la récession, les plans sociaux et le chômage partiel. Ils conservent néanmoins un marché de l’emploi dynamique et continuent à faire figure d’eldorado pour les frontaliers français.
De même qu’aucun arbre ne monte jusqu’au ciel, nul Etat ne peut prétendre à une croissance perpétuelle. Le Luxembourg vient d’en faire l’expérience : après un quart de siècle de progression ininterrompue, il prévoit un PIB stable, voire en recul en 2009. Le chômage a atteint, en janvier dernier, le seuil historique de 5 % parmi les résidents luxembourgeois et le Grand-Duché n’est plus épargné par les plans sociaux – la dernière mauvaise nouvelle en date concerne Villeroy et Boch qui fermera son site de 300 salariés.
La situation n’est pourtant pas encore alarmante pour les quelque 70 000 travailleurs lorrains qui exercent quotidiennement au Luxembourg. Le pays conserve, de loin, le marché du travail le plus actif d’Europe et les prévisions de son institut statistique Statec tablent sur une progression de 2,5 % du travail frontalier d’ici à 2010, en dépit de la crise.
Dans une hypothèse de croissance à 4 %, qui correspond à la moyenne des cinquante dernières années, nous obtenons 120 000 créations d’emploi au Luxembourg et 90 000 travailleurs frontaliers supplémentaires, toutes nationalités confondues, en 2020.
Aurélien Biscaut, chargé des questions économiques transfrontalières à l'Agape, Agence d'urbanisme du Nord lorrain
Poursuite des recrutements au Luxembourg
Deuxième population étrangère après les Portugais, les Français représentent 13 % des 205 900 étrangers vivant au Luxembourg. Les travailleurs étrangers se répartissent entre les services aux entreprises, qui emploient environ 15 000 salariés, l’industrie et le commerce (10 000 personnes chacun), la finance et la construction (entre 6 000 et 7 000 personnes chacun).
Cette répartition assez homogène les met à l’abri des crises sectorielles. Les intérimaires souffrent de la crise, même si aucune étude ne permet encore de chiffrer le phénomène. Mais le Grand-Duché poursuit ses recrutements, surtout pour des postes qualifiés.
Nicolas Brizard, coordinateur du centre de ressources et de documentation de l'Eures du Pôle européen de développement, qui favorise le travail frontalier entre la Belgique, la Lorraine et le Luxembourg
Les offres d’emploi subsistent, mais les employeurs luxembourgeois se montrent plus exigeants : un cabinet comptable qui aurait recruté, l’an dernier, un collaborateur au niveau bac + 2 avec anglais maîtrisé demandera, aujourd’hui, un bac + 4 bilingue.
Eric Barthélémy, conseiller Eures au pôle emploi de Hayange (Moselle)
Le conseil régional de Lorraine cofinance régulièrement des formations transfrontalières pour répondre aux attentes de ces précieux recruteurs.
Prévision de forte récession
En Suisse aussi, les indicateurs sont au beau fixe. Cet autre pays prospère emploie 114 000 frontaliers français aujourd’hui, soit 25 % de plus qu’en 2003 et 60 % de mieux qu’il y a dix ans. La crise a fait décoller le chômage de 22 % en un an, mais il faut raison garder : le taux n’a «grimpé» qu’à 3,4 %…
Plus inquiétante serait la prévision de forte récession cette année, avec un recul de 2,2 % du PIB. Mais Alain Marguet, président de l’Amicale des frontaliers de Franche-Comté, ne s’alarme pas trop pour ses troupes.
Certes, des intérimaires sont revenus et six entreprises à main-d’oeuvre frontalière ont annoncé chacune le licenciement de plusieurs dizaines de personnes en l’espace de quelques semaines. Mais, parallèlement, les embauches se poursuivent dans l’ingénierie, l’hôtellerie-restauration. L’horlogerie reste optimiste à long terme.
Alain Marguet
Qu’ils soient français, allemands ou italiens, les frontaliers travaillent à près de 60 % dans les services (immobilier, informatique, santé, services à la personne). Mais, avec 40 %, l’industrie occupe une place supérieure à sa part dans l’économie helvétique, grâce aux gros pourvoyeurs métallurgie/mécanique, chimie-pharmacie et horlogerie.
Vases communicants
Si tout semble aller pour le mieux dans les cantons francophones de Genève, de Vaud (Lausanne) et de Neuchâtel, des évolutions négatives se font jour dans la zone frontalière de l’Alsace, germanophone. A Bâle, le nombre de frontaliers alsaciens a baissé de plus de 2 000 en deux ans. L’explication par le recul de la pratique de l’allemand est appuyée par cette autre statistique : en deux ans, le nombre de travailleurs allemands à Bâle a progressé exactement dans la même proportion, comme par un effet de vases communicants. Au point de dépasser, mi-2008, celui des Français, tombé à moins de 30 000.
Sans la maîtrise de l’allemand, nous risquons de rester à l’écart du développement, à nos portes, d’un territoire parmi les plus dynamiques en Europe. Les emplois de frontaliers déjà perdus, c’est l’équivalent d’une grande entreprise qui aurait fermé.
Jean-Pierre Gallo, président de la CCI Sud-Alsace-Mulhouse
Notre économie se tertiarise et son pilier industriel, la chimie-pharmacie, requiert des postes de plus en plus internationaux. Or, tous ces profils semblent se trouver plus facilement chez les Allemands.
Hans-Jürg Dolder, directeur de l'agence pour l'emploi de Bâle-ville
Bassin d’emploi dynamique
Vers l’Allemagne, la langue et le niveau de formation ont aussi été pointés comme des freins à l’emploi de frontaliers alsaciens. Son évolution dépend cependant, avant tout, de l’état de santé de l’industrie germanique. Il se stabilise autour de 30 000 travailleurs, depuis quelques années, dont 35 % dans le commerce et autant dans le trio automobile/métallurgie/électrotechnique-électronique.
Le dynamisme du grand bassin d’emploi transfrontalier, qui couvre le grand est de la France et ses voisins, Luxembourg, Allemagne et Suisse, n’a pas échappé aux spécialistes privés du recrutement en quête de bons filons. Le site Moovijob.com lui consacre, par exemple, un salon itinérant, dont la première édition, à l’automne dernier, a mis en rapport pas moins de 16 000 candidats avec 70 recruteurs potentiels à Metz, Nancy et Strasbourg. Un visiteur sur six a décroché un entretien d’embauche, et l’initiative sera reproduite et étendue cette année.
L’essentiel
- Bien que touchés eux aussi par la crise, le Luxembourg et la Suisse ont toujours une grande capacité d’accueil des travailleurs frontaliers français.
- Les recruteurs luxembourgeois se montrent toutefois plus exigeants et les régions frontalières proposent des formations de remise à niveau aux candidats.
- Une bonne maîtrise de l’allemand est un atout supplémentaire pour travailler en Suisse où les frontaliers français sont désormais concurrencés par les Allemands.
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