Alors que le SNU, la CGT et Sud Emploi appelaient à la grève nationale le 18 juin, les agents de Pôle emploi en Lorraine ont cessé le travail deux semaines auparavant, pour demander le gel de la fusion ANPE-Assedic.
Le 2 juin, 284 agents lorrains, soit environ 20 % des effectifs régionaux de Pôle emploi, ont répondu à l’appel à la grève lancé par l’intersyndicale CGT-SNU-CFDT-CFTC-Snapp-FO. Avec deux semaines d’avance sur l’appel national du 18 juin, les grévistes ont demandé la suspension de la fusion de l’Assedic et de l’ANPE en un Pôle emploi unique. En Lorraine, où le chômage a augmenté de 29 % au cours du premier trimestre, les difficultés d’organisation liées à la fusion arrivent, selon les syndicats, au plus mauvais moment.
Les agents sont à bout. Leur charge de travail a augmenté de 30 % et les 73 postes – 43 CDI et 30 CDD – promis pour le deuxième trimestre correspondent à peine à une progression de 2,8 % des effectifs.
Jean-Marie Périnel, conseiller ex-ANPE, secrétaire régional de la CGT ANPE Pôle emploi en Lorraine
En début d’année, la direction espérait encore voir le chômage se stabiliser après un pic prévu au mois de mai. Or, des milliers de travailleurs précaires, intérimaires et frontaliers affluent sur le marché lorrain du travail.
Nous n’avons pas encore touché le fond, d’autant que les salariés suivis par une cellule de reclassement dans le cadre de gros plans sociaux, tel celui de Kléber, à Toul, ou encore, les salariés des sous-traitants de la sidérurgie et de l’automobile ne sont pas encore inscrits en tant que demandeurs d’emploi.
Jean Niel, directeur régional du Pôle emploi de Lorraine
150 agents supplémentaires
Pour faire face à l’urgence, la direction a embauché, depuis janvier, 150 agents supplémentaires, dont la moitié en CDD. Mais cette progression de près de 10 % des effectifs n’a pas suffi à résorber le surcroît de travail, d’autant que ces nouvelles recrues ne sont pas immédiatement opérationnelles.
Les dispositifs de formation, de retour à l’emploi, de contrats aidés, sont si nombreux qu’il est impossible de former les nouveaux agents à l’ensemble des solutions possibles. Nous les spécialisons sur certaines tâches de manière à libérer les experts sur d’autres opérations.
Jean Niel
Le Pôle emploi lorrain se trouve, ainsi, contraint d’alléger le dispositif d’accompagnement des demandeurs d’emploi. En vigueur depuis deux ans, le suivi mensuel obligatoire devient de plus en plus théorique.
La direction sait bien qu’il nous est mathématiquement impossible de rencontrer 300 demandeurs d’emploi par mois, sans compter les autres tâches qui nous sont imparties. Les conseillers improvisent, organisent des réunions de suivi individuel de 20 ou 30 personnes. L’encadrement ferme les yeux sur ces bricolages. Il n’en reste pas moins que le service public de l’emploi se dégrade.
Benoît Nodari, conseiller ex-ANPE et délégué SNU
Une fusion au pire moment
Dans ce contexte, les syndicats estiment que la fusion de l’Assedic et de l’ANPE, officialisée le 19 décembre dernier, est intervenue au pire moment.
En janvier, on a ajouté de gros autocollants «Pôle emploi» aux enseignes Assedic et ANPE pour faire croire que la fusion était chose faite. La direction a ensuite voulu rendre cette fusion visible dès l’accueil, en plaçant à la réception un binôme composé d’un ancien «Assedic» et d’un ancien «ANPE», censés se former mutuellement. Mais les explications prenaient du temps, la file d’attente s’allongeait et les demandeurs d’emploi étaient d’autant plus exaspérés qu’ils voyaient deux agents au guichet.
Benoît Nodari
La direction lorraine a lancé, en avril, un premier module de formation à l’intention de 400 agents volontaires, mais elle admet que le transfert mutuel et intégral des compétences respectives des deux catégories d’agents s’effectuera sur plusieurs années.
Dans les antennes de Pôle emploi, la tension, palpable, s’est traduite par des agressions verbales, voire physiques. Les syndicats ont comptabilisé, au cours du premier trimestre 2009, plus d’incidents que durant toute l’année 2008, les litiges survenant, dans la quasi-totalité des cas, de problèmes d’indemnisation ou de radiation.
Avant la fusion, les demandeurs d’emploi ressortaient des Assedic avec une idée assez précise du montant et de la durée de leur indemnisation. Aujourd’hui, ils doivent patienter jusqu’à deux mois pour obtenir une réponse. Nous constatons, également, une augmentation des erreurs et des retards qui pénalisent lourdement les demandeurs d’emploi.
Jean-Marie Périnel
Il ne faut pas que l’arbre Pôle emploi cache la forêt de la terrible dégradation de l’emploi, avec une industrie qui s’effondre de jour en jour. Inscrite dans la loi, la fusion s’impose à tous de manière irréversible. Il paraît déjà impensable d’imposer à nouveau aux demandeurs d’emploi d’effectuer un va-et-vient entre les services de l’ANPE et ceux de l’Assedic.
Jean Niel
La direction régionale a ralenti certains aspects de la fusion et compte, notamment, retarder le regroupement des 28 agences régionales pour l’emploi et des 24 antennes de l’Assedic en 34 sites mixtes. Sur le plan national, la construction de 15 000 locaux mixtes neufs risque également de prendre du retard.
Deux appels d’offres en préparation
Consciente des risques d’engorgement, la direction nationale de Pôle emploi prépare un appel d’offres visant à ouvrir à des prestataires extérieurs la prise en charge des inscriptions par téléphone des demandeurs d’emploi composant le 3949, en cas de débordement des centres d’appels régionaux. Un autre appel d’offres doit permettre au secteur privé d’assurer, à compter d’octobre prochain, les inscriptions simplifiées des personnes ayant travaillé moins de six mois. Engagé dans les années 1980, le partenariat entre ANPE et prestataires privés a connu une nette accélération à l’occasion de la convention tripartite Etat-ANPE-Unedic, qui a confié, en début d’année, au secteur privé l’accompagnement de 320 000 demandeurs d’emploi pour une durée de deux ans. Répondant aux directives européennes, cette évolution fait craindre aux syndicats la disparition programmée du service public de l’emploi.
Un chantier statutaire de longue haleine
En décidant de placer entre les mêmes mains l’accompagnement et l’indemnisation des demandeurs d’emploi, le président Sarkozy a ouvert un chantier statutaire d’une rare complexité. D’ici au 30 juin 2010, une convention collective unique doit entrer en vigueur et s’appliquer à l’ensemble des 45 000 agents de Pôle emploi. Les anciens agents de l’ANPE, qui constituent les deux tiers des effectifs du nouvel ensemble, auront un an pour décider d’adhérer à cette nouvelle convention ou, au contraire, de conserver leur statut actuel d’agent public. La convention s’appliquera obligatoirement aux anciens salariés de l’Assedic, qui relèvent du droit privé.
Indépendance du salarié
Si les questions d’indépendance du salarié vis-à-vis des pressions politiques, des conditions de travail, des salaires et du déroulement de carrière étaient résolues, la nouvelle convention pourrait être attractive. Mais nous en sommes encore loin.
Noël Daucé, délégué SNU de Pôle emploi
Posée au cours d’une crise sociale sans précédent, la question de l’indépendance des employés du Pôle constitue un aspect fondamental de la future convention.
Egalité de traitement
Seule une garantie statutaire forte permettra de pérenniser la neutralité et l’indépendance du service de l’emploi. Nous ne voulons pas être le bras armé d’une politique visant à renforcer les contraintes vis-à-vis des chômeurs tout en réduisant leurs droits.
Rubens Bardaji, secrétaire général de la CGT ANPE Pôle emploi, qui appelle ses adhérents à conserver le statut public
Les modalités de recrutement des agents de Pôle emploi restent à définir. A l’ANPE, il s’effectuait sur la base d’une liste d’aptitude après concours public. A l’Assedic, prévalait la règle du gré à gré. Les négociations porteront sur la mise en place de procédures homogénéisées applicables sur l’ensemble du territoire national pour garantir une égalité de traitement face au recrutement.
La rémunération constituera un autre dossier épineux, les salariés de l’Assedic étant réputés mieux payés que les agents de l’ANPE – même si les disparités, flagrantes en début de carrière, ont tendance à s’estomper ensuite. « Nous demandons une revalorisation de 20 % de la grille indiciaire pour rattraper l’énorme retard accumulé dans les salaires de l’emploi public », indique Régis Dauxois, secrétaire général de Force ouvrière de Pôle emploi.
Report des élections professionnelles
Pour l’heure, les sept syndicats représentatifs se mobilisent en ordre dispersé. Seuls trois d’entre eux ont appelé à la grève du 18 juin, les autres préparant une mobilisation pour la rentrée. Initialement prévues courant juin, les premières élections professionnelles de la nouvelle entité sont reportées à octobre prochain – preuve supplémentaire de la grande complexité de la gestion sociale de la fusion. De leurs résultats dépendra, en large part, la teneur de la future convention collective.
L’essentiel
- En Lorraine, les agents grévistes ont demandé la suspension de la fusion ANPE-Assedic.
- Le chômage a augmenté de 29 % dans la région et les effectifs de l’agence n’ont pas suivi.
- La tension est palpable.
- Les syndicats ont comptabilisé au cours du premier trimestre 2009 plus d’incidents que durant toute l’année 2008.
- Consciente des risques d’engorgement, la direction nationale prépare deux nouveaux appels d’offres en direction du privé.
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