Les soubresauts du marché de l’acier n’en finissent pas d’ébranler l’organisation d’Arcelormittal à Florange. La reprise des embauches et l’ouverture d’un nouveau centre de formation constituent des signaux positifs, mais les syndicats s’inquiètent d’une flexibilisation à outrance des outils de production, des sous-effectifs chroniques et des carences dans la transmission des savoirs.
Depuis le début de la crise, chaque fin d’été apporte son lot de surprises au pied des deux derniers hauts-fourneaux de Lorraine, le P6 et le P3, situés à Florange et à Hayange dans la vallée mosellane de la Fensch. En août 2009, les quelque 3 000 salariés d’Arcelormittal Florange, dont 800 affectés à la filière liquide – mode de production de l’acier par fusion – apprenaient avec soulagement le redémarrage inattendu du P6, éteint quatre mois auparavant au plus fort de la tourmente sidérurgique mondiale.
Remise en fonction à la hâte, l’installation a tourné à plein régime, mais non sans pannes, durant un an. Arrêté fin juin pour une maintenance technique, le haut-fourneau a fait l’objet d’une réfection de grande ampleur pour un montant de 5,6 millions d’euros. La réparation ouvrait la perspective d’un fonctionnement sans accroc dès la rentrée de septembre.
Intensification de la spéculation
Mais la direction a annoncé fin août qu’elle reportait sine die le rallumage des feux, compte tenu des incertitudes de la conjoncture et du manque de visibilité pour le quatrième trimestre. Le site ne fonctionne donc plus qu’à 50 % de ses capacités, et le P3, dernier haut-fourneau en activité, donne des signes de fatigue.
En démontrant que le prix de l’acier pouvait plonger durablement, la crise a intensifié la spéculation. Les clients, qui savent que les commandes sont rares, passent leurs ordres d’achat au dernier moment en espérant faire baisser les prix.
Edouard Martin, délégué CFDT du comité d’entreprise européen d’Arcelormittal
Cette incertitude qui n’en finit pas se répercute sur la gestion des ressources humaines.
Pyramide des âges particulière à la filière liquide
Le site de Florange a renoué cet été avec les embauches en recrutant 116 personnes, dont 83 Etam et 23 ingénieurs. Mais les syndicats jugent cet appoint nettement insuffisant compte tenu d’une pyramide des âges très particulière : dans la filière liquide, la moitié des effectifs est âgée de plus de 50 ans et 30 % des sidérurgistes, de 55 ans et plus. Or, ni la transmission des compétences, ni la formation ne semblent figurer parmi les priorités de la direction : les 50 tuteurs prévus pour encadrer les nouvelles recrues n’ont pas été désignés faute de temps ou de disponibilité. De même, en septembre dernier, 30 % seulement des 130 000 heures de formation budgétées en début d’année avaient été effectuées.
Les sous-effectifs et les carences dans la transmission des compétences sont sources de danger : c’est lorsqu’un ouvrier se trouve seul face à une situation à laquelle il n’est pas préparé que l’accident se produit.
Yves Fabbri, secrétaire général de la CGT d’Arcelormittal Florange et membre du comité de groupe européen
Le site de Florange a connu depuis 2007 une succession tragique de trois accidents mortels en trois ans.
Le centre de formation aux métiers de la sidérurgie, qui sera inauguré ce 5 octobre à Yutz, à une dizaine de kilomètres de Florange, palliera en partie les sous-effectifs. Financée par Arcelormittal pour un montant de 1,5 million d’euros, l’école accueillera la première promotion d’apprentis sidérurgistes de la vallée de la Fensch depuis une trentaine d’années. Mais si les 60 candidats au bac pro et au BTS en alternance effectueront leur apprentissage à Florange, leur embauche n’est pas garantie au terme de la formation. Le cas échéant, l’intégration de cette nouvelle génération de sidérurgistes ne suffirait pas à compenser les 537 départs comptabilisés à Florange dans le cadre du plan de départs volontaires qui a allégé de près de 3 000 salariés les effectifs français du sidérurgiste l’an dernier.
De l’aveu même de la direction, cette ponction a considérablement perturbé le fonctionnement des installations, d’autant que la GPEC promise dans la foulée n’est toujours pas entrée en vigueur.
Didier Coletti, délégué CFDT d’Arcelormittal Florange
Ralentissement général
L’inquiétude des syndicats de Florange se nourrit également du ralentissement généralisé de l’activité sur l’ensemble des sites européens d’Arcelormittal. Touché dans ses principaux marchés – l’automobile, le bâtiment et l’industrie -, le sidérurgiste n’envisage pas le retour à la production de 2007 avant cinq ans, et les 11 hauts-fourneaux actuellement en activité en Europe du Nord risquent d’en faire les frais.
Rentabilité à court terme
La préoccupation majeure de Lakshmi Mittal réside dans la distribution des dividendes. Pour obtenir cette rentabilité à court terme, il impose sur l’ensemble de ses sites européens une flexibilité qui ne convient ni aux matériels, ni aux hommes. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous craignons de retrouver à Florange les facteurs qui ont conduit à la fermeture de l’aciérie et du train à billettes de Gandrange.
Xavier Phan Dinh, représentant CGT au comité d’entreprise européen d’Arcelormittal et premier adjoint au maire de Gandrange
Situé à 10 km de Florange, le village de 2 500 habitants est loin de s’être remis de la saignée subie en 2008 lors de la fermeture de l’aciérie et du train à billettes d’Arcelormittal, qui a fait disparaître 595 emplois.
Démarrée en mai 2009, la mission de revitalisation, qui prévoit 682 créations ou maintien d’emplois d’ici à mai 2012, a démarré mieux que prévu, mais s’étend sur un territoire dépassant largement les seuls alentours de Gandrange. Opérateur principal de la mission avec un objectif de 532 emplois endogènes, le cabinet Sémaphores (groupe Alpha), doté d’un budget global de 4,5 millions d’euros, affiche un bilan de 231 postes créés auxquels devraient s’ajouter quelque 80 dossiers d’ici à la fin de l’année.
La majorité des emplois créés relèvent des métiers du bâtiment, du recyclage ou de la culture et des loisirs. Les entreprises liées à la sidérurgie cherchent des niches qui les rendraient moins tributaires de l’industrie lourde.
Dominique Di Pino, chargé de mission à Sémaphores
Convention d’ancrage territorial
Figurant dans la convention d’ancrage territorial signée par Arcelormittal après à la fermeture partielle de Gandrange, le Fonds lorrain des matériaux (FLM) a ouvert ses guichets comme prévu ce printemps. Abondé à hauteur de 18,4 millions d’euros, apportés à parts égales par Arcelormittal d’une part, l’Etat et les collectivités locales d’autre part, le fonds visait initialement le secteur de l’acier et des hautes technologies. Les premiers dossiers validés mi-2010 portent sur des projets de nanotechnologies, de panneaux photovoltaïques ou de prothèses médicales : autant de domaines excédant largement celui des métaux. Bien que fortement attaché aux vestiges de son passé sidérurgique, le tissu industriel du nord mosellan semble soucieux de se mettre à l’abri des chauds et froids de ses derniers hauts-fourneaux.
L’essentiel
- Les aléas du marché de l’acier se répercutent sur les sites de production. Nul ne sait quand les installations de Florange fonctionneront à nouveau à plein régime.
- Cette navigation à vue complique la gestion prévisionnelle des emplois et la transmission des savoirs.
- L’avenir de la sidérurgie paraît incertain et la vallée de la Fensch explore de nouvelles pistes de revitalisation.
Des sous-traitants maltraités
Quand Arcelormittal Florange tousse, les sous-traitants étouffent. Telle est en substance la conclusion du rapport sur “l’impact des restructurations de la sidérurgie mosellane sur l’activité des sous-traitants en Lorraine en 2009”, publié en septembre dernier par l’Observatoire régional de l’emploi, de la formation et de la qualification (Orefq) en Lorraine.
Plus de la moitié des 250 principaux sous-traitants mosellans de la sidérurgie ont envisagé ou effectué des suppressions d’emploi l’an dernier. Entre le troisième trimestre 2008 et celui de 2009, ces entreprises ont perdu un millier d’emplois, soit une baisse de 10 % de leurs effectifs. Tout en soulignant les informations lacunaires fournies par les donneurs d’ordres, l’Orefq met en évidence un tissu fragilisé, vulnérable et ne disposant guère de visibilité ni à court ni à moyen termes.
En mai 2009, la chambre de commerce et d’industrie de la Moselle annonçait d’ailleurs un plan de soutien à 60 sous-traitants employant 2 000 salariés des bassins de Metz et de Thionville, pour les aider à élaborer dans l’urgence une nouvelle stratégie. Un an plus tard, 45 entreprises se sont inscrites dans le dispositif. Si les 36 diagnostics réalisés mettent en évidence un besoin d’accompagnement sur le plan stratégique et commercial et l’optimisation de la production, l’opération, qui a mobilisé un budget de 700 000 euros, a pourtant remisé ses ambitions initiales. La CCI prévoyait entre autres la création de services export ou encore des programmes de valorisation des compétences sidérurgiques dans les domaines pétroliers ou gaziers, qui n’ont pas vu le jour.
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