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Le château de Malbrouck renaît de ses ruines

Près de 300 ans après avoir découragé Malbrouck de s’en aller en guerre, le château de Manderen retrouve sa splendeur d’antan après un investissement de 98 millions de francs et huit ans de travaux.

château de MalbrouckLe conseil général de la Moselle a achevé, fin août, la restauration du plus beau monument féodal de son patrimoine. Le château de Manderen, également appelé château de Malbrouck, situé à la frontière de la Sarre et du Luxembourg, ouvre ce mois-ci avec une exposition sur le mythe de la Toison d’or. La transformation des ruines du petit château médiéval en site touristique et culturel aura coûté 98 millions de francs, mobilisé quelque 250 ouvriers durant huit ans et constitué la seconde restauration de monument historique de France après celle du Parlement de Bretagne.

Lorsque les détracteurs du projet dénoncent le coût du chantier, j’ai coutume de rappeler que la restauration du château n’a guère coûté plus cher qu’un kilomètre d’autoroute. Ce budget a permis de sauver un monument, de réapprendre des techniques oubliées et de créer un site hautement symbolique à cheval sur trois frontières, à cinq kilomètres de Schengen.

Guy Hauswald, ingénieur en chef au conseil général de la Moselle qui a supervisé le projet

Construit, à partir de 1419, par Arnold VI, vassal du duc de Lorraine, le château qui surplombe la vallée de Sierck n’aura permis de remporter qu’une victoire psychologique, lors de la guerre de succession d’Espagne. Le célèbre duc de Marlborough (le Malbrouck de la chanson) qui dirigeait les armées coalisées d’Allemagne et d’Espagne, y connut un revers : prenant l’édifice quasi désert pour une forteresse redoutable, il préféra rebrousser chemin – laissant ainsi au maréchal Villars le temps de préparer des troupes pour une bataille décisive.


Château fort tout confort

Le château fut ensuite détruit au cours de la guerre de Trente ans, dépecé par les pillards, abîmé durant la Première Guerre mondiale et achevé par l’armée américaine qui, au cours de la dernière guerre, se servit de ses remparts pour mettre au point ses tirs d’artillerie. Il ne subsistait donc plus guère que des vestiges – classés monument historique en 1930 – perdus dans les orties lorsque le conseil général de la Moselle décida de sa réhabilitation, sous la maîtrise d’ouvrage de l’Etat, en 1989. Après la reprise des fondations à 9 m sous le niveau du sol, les architectes des Monuments historiques et du conseil général ont entrepris une restauration scrupuleusement conforme à la charte de Venise, édictée par l’Unesco, qui interdit toute réhabilitation non authentifiée par des documents d’époque. Or, les ingénieurs ne disposaient guère que des travaux d’un érudit local du XIXe siècle, consignés aux archives départementales.

Guy Hauswald, ses collaborateurs et les compagnons du chantier se sont donc rabattus sur les grimoires rédigés en français, en allemand et en luxembourgeois médiéval traitant de constructions analogues. La visite d’autres châteaux contemporains a conforté leurs connaissances. Les chantiers archéologiques, les découvertes quotidiennes des ouvriers hautement qualifiés, ont permis de reconstituer les murs en pierre de taille de 4,8 mètres d’épaisseur ; les tuiles en forme d’écailles ; le terrazzo médiéval où le mortier est remplacé par de la chaux. Les parties de bâtiment n’ayant pu être reconstituées à l’identique, faute d’éléments tangibles, ont été reconstruites en matériau délibérément anachronique : ainsi, une chape de béton surplombe l’amphithéâtre en pierre de taille afin de n’entretenir aucune ambiguïté. Des tailleurs de pierre aux vitriers d’art, huit corps de métier spécialisés se sont relayés sur le chantier qui a regroupé simultanément jusqu’à 60 ouvriers.

Les équipes, toutes issues d’entreprises lorraines, ont réuni des travailleurs turcs, belges, malgaches, portugais ou français dans une remarquable harmonie.

Guy Hauswald, saluant le respect des compagnons pour les règles de l'art

Au fil des années, la ruine s’est muée en monument de prestige tout à fait adapté aux conférences, expositions et autres animations théâtrales ou culturelles. Manderen constitue aujourd’hui le seul château médiéval entièrement chauffé à l’électricité. Des ascenseurs conduisent à l’amphithéâtre. Une cuisine relais dernier cri permettra de ravitailler les visiteurs. Mais le monument a conservé le charme des pierres de taille en grès bigarré gris et rose, des toitures d’ardoise et des cours pavées.


Guy Hauswald, devenu territorial par amour d’une « ruine fascinante »

C’est le château de Manderen qui a conduit Guy Hauswald à la fonction publique territoriale. Engagé, en 1978, comme commis dessinateur, le jeune meurthe-et-mosellan a quitté la Drac de la Moselle en tant que vérificateur des monuments historiques.

J’ai découvert le château de Manderen en 1991. Ce n’était plus qu’une ruine, mais une ruine fascinante. J’ai immédiatement demandé ma mutation au conseil général de la Moselle pour travailler à sa restauration, mais le transfert d’un cadre A dans le même département posait des problèmes. Je suis donc parti travailler en Alsace, à la cathédrale de Strasbourg, sans perdre de vue l’évolution du chantier de Manderen. J’ai pu regagner la Moselle deux ans plus tard en tant qu’ingénieur chargé de la division des musées. Manderen aura indiscutablement constitué mon plus beau chantier, le plus passionnant. Mais le château ne constitue pas ma seule mission : département concordataire, la Moselle intervient également dans la restauration des églises, des temples et des synagogues. Au sortir de Manderen, j’ai 900 monuments qui m’attendent, sans compter le futur musée de Vic-sur-Seille et celui de Gravelotte, qui sera le seul de France à retracer l’histoire de la guerre de 1870.

Guy Hauswald


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Pascale Braun

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