Les professions liées à la vieillesse suscitent certainement plus d’appréhensions que de vocations.
Travailler auprès des personnes âgées signifie souvent être confronté à la mort et à la maladie. Des métiers y sont pourtant à conquérir. Instinct vital, humour, patience et goût du contact sont donc indispensables, de même qu’une vision optimiste de la vie.
Dans les années 60, l’Etat et les collectivités locales ont paré à l’urgence en apportant une aide financière aux personnes âgées dont la retraite s’avérait insuffisante. Aujourd’hui, les revenus des retraités dépassent souvent ceux des actifs. La prise en charge des personnes âgées intervient plus tardivement et revêt un caractère sanitaire et médicalisé.
Christian Wernert, responsable régional de la formation à la délégation Rhône-Alpes Lyon du CNFPT
Émiettée entre les caisses d’allocations familiales, les caisses de retraite, la sécurité sociale, les régimes de retraite complémentaire et les associations, l’aide aux personnes âgées n’est entrée que récemment dans le domaine de compétence des communes, chargées d’organiser les portages de repas et les soins à domicile, et les conseils généraux en charge de la prestation spécifique dépendance (PSD). La mise en place laborieuse de la PSD, la rareté des formations spécifiquement dédiées à la gérontologie, la faible valorisation des métiers du troisième âge témoignent des difficultés de la fonction publique territoriale à s’impliquer pleinement dans l’aide aux personnes âgées. Sur le plan humain, rares sont les agents qui choisissent spontanément ce domaine d’activité.
La vieillesse d’autrui nous revient comme un miroir et la peur de la mort freine les candidatures.
Claude Royer, directrice de la prestation spécifique dépendance au conseil général de la Moselle
Motivation numéro un : être socialement utile
Mais une fois cette réticence surmontée, les agents qui ont choisi de travailler avec les personnes âgées découvrent des tâches socialement utiles, humainement enrichissantes et souvent gratifiantes. Assistantes sociales, infirmiers, aides-soignants, qui contribuent au maintien à domicile, rencontrent des univers complexes. La solitude côtoie le trop-plein d’amour, le corps et la raison divorcent, les enfants, déjà âgés eux-mêmes, deviennent tuteurs de leurs parents. Quelques conseils aussi pragmatiques que celui de changer de pantoufles permettent d’éviter des chutes catastrophiques ; beaucoup d’attention, d’écoute et de sagesse parviennent à atténuer les séparations et les deuils.
Longtemps placé sous l’égide de la fonction publique hospitalière ou du secteur privé, l’hébergement collectif en foyers-logements, maisons de retraite ou centres de long séjour renoue parfois avec la notion de lieu de vie. Même très âgée, malade et invalide, une personne peut faire partager ses souvenirs, ses savoirs, son enthousiasme.
Il faut solliciter en permanence l’intelligence, l’élan de vie.
Catherine Morel, coordinatrice des actions gérontologiques et directrice de deux foyers-logements à Saint-Malo
Reste que les carrières médico-sociales liées à l’enfance sont certainement plus prisées que celles qui touchent au troisième âge.
L’image de la vieillesse n’est guère valorisante et travailler avec les personnes âgées constitue souvent un choix par défaut.
Christian Wernert
Nécessitant une grande solidité psychologique, des qualités d’écoute et de cœur, le travail en compagnie de personnes âgées mérite pourtant d’être rétabli dans sa dignité.
Il est dangereux d’établir un lien trop personnel avec les patients.
Nicolas Deprez, infirmier au service maintien à domicile à la mairie d'Aubervilliers
« Il existe plusieurs façons d’approcher le métier d’infirmier. Certains privilégient les gestes techniques, d’autres l’aspect relationnel. Pour ma part, j’aurais été incapable de travailler dans un service d’urgence ou de réanimation. J’ai consacré mon mémoire de fin d’études à l’accompagnement en fin de vie des personnes de plus de 75 ans dans l’intention de me rendre utile auprès de cette catégorie de population. »
Employé au service maintien à domicile de la mairie d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) depuis 1998, Nicolas Deprez organise les visites matinales auprès de personnes âgées nécessitant des soins de toilette et de nursing.
« Outre la toilette proprement dite, nous nous efforçons d’offrir de petites améliorations à leur confort. Et surtout, nous apportons une présence et une écoute à des personnes qui souffrent souvent cruellement de la solitude. »
Le jeune infirmier évoque avec une tendresse pudique ses patients originaires de tous les pays du monde, souvent seuls, parfois démunis mais hospitaliers et reconnaissants.
« Il est dangereux d’établir un lien trop personnel avec les patients que nous visitons. Nous ne faisons pas partie de la famille. Mais au fil des visites se tisse un lien que les personnes âgées manifestent par des mots gentils : “je suis contente de vous voir, je vous attendais, je me sens mieux, je vous ai préparé un thé”.»
Préserver la pudeur des femmes africaines
A l’encontre de nombre d’idées reçues, Nicolas Deprez souligne la douceur du melting-pot d’Aubervilliers.
« Nous ne sommes confrontés ni au racisme, ni à la violence. Même si elles ont pu avoir des préjugés, les patientes européennes acceptent sans difficulté nos aides-soignantes d’origine maghrébine. De même, certaines femmes d’origine africaine expriment des réticences à l’approche de la toilette. Elles préfèrent avoir affaire à une femme. Dans ce cas, je n’insiste jamais. »
La vraie difficulté du métier réside dans l’approche de la mort.
« Nous savons que nous ne sommes jamais gagnants. Tout au plus pouvons-nous espérer que les derniers moments se passent le mieux possible. Nous entretenons également des liens avec les familles. Certains sont très présents, d’autres non. Même lorsqu’ils sont stressés, ils reconnaissent notre travail. »
De l’avis de l’infirmier, cette considération, acquise auprès des personnes âgées et de leurs proches, laisse à désirer au sein même de la fonction publique.
« Les jeunes femmes avec lesquelles je travaille ont parfois l’impression de n’être prises que pour des toiletteuses. L’essentiel du travail étant concentré en matinée, elles sont employées à mi-temps pour un salaire qui ne leur permet même pas de payer leur loyer, et doivent trouver un second travail l’après-midi pour subsister. Leur situation me semble d’autant plus injuste qu’à l’exception de certains actes techniques, elles font le même boulot que les infirmiers. »
J’ai toujours souhaité travailler auprès de personnes âgées.
Sylvette Lasserre, assistante sociale spécialisée au conseil général de la Moselle
« Depuis mon mémoire, que j’ai consacré aux avantages comparés du maintien à domicile et du placement, j’ai toujours souhaité travailler auprès de personnes âgées. Assistante sociale polyvalente, j’ai quitté le conseil général de la Moselle pour travailler à la caisse de retraite du régime minier, avant de réintégrer la direction de la solidarité lors de la mise en place de la prestation spécifique dépendance », déclare Sylvette Lasserre.
Douce et pondérée, la jeune femme sillonne depuis deux ans les localités mosellanes pour rencontrer, à leur domicile, les personnes âgées ayant sollicité la PSD.
« Je ne regrette absolument pas mon choix. Je rencontre des personnes âgées de tous milieux, dont certaines n’auraient jamais imaginé faire appel à une assistante sociale. Face à la vieillesse ou à la maladie, certaines barrières sociales tombent et chacun doit admettre qu’il a besoin d’aide. »
Faire accepter à la personne âgée et à sa famille la nécessité d’une aide matérielle, psychologique ou morale constitue la mission la plus délicate de l’assistante sociale.
« Certaines personnes ne se voient pas vieillir. Les proches, et notamment les enfants, éprouvent souvent un sentiment de devoir filial qui tourne vite au sentiment de culpabilité. Or, la charge des parents est d’autant plus lourde que les enfants d’une nonagénaire ont souvent eux-mêmes largement dépassé la soixantaine. J’aide les proches à verbaliser leur fatigue et leurs angoisses pour les conduire, petit à petit, à accepter un soutien. »
Un investissement personnel fort, nuancé de distance
La démarche dure parfois plus d’un an à raison d’une rencontre par mois. Questionnés, les proches admettent peu à peu leur épuisement.
« Il est absolument nécessaire d’anticiper la crise afin de prévenir les risques de maltraitance ou d’abandon, lorsque les proches arrivent vraiment au bout du rouleau », insiste Sylvette Lasserre.
L’assistante sociale admet n’avoir aucune position tranchée quant au choix entre maintien à domicile ou hébergement en maison de retraite.
« Il existe beaucoup de préjugés sur la question. Les deux solutions ont leur raison d’être. Le maintien à domicile a ses limites, notamment lorsqu’une maladie évolue. De toute manière, je ne dispose d’aucun pouvoir de décision : mon rôle consiste à apporter un regard extérieur, à informer et à proposer des solutions. »
L’assistante sociale élabore, en coordination avec le médecin, les services de l’aide sociale et de l’aide à domicile, la caisse primaire d’assurance maladie et les proches, un dispositif d’aides qu’elle valide ensuite par des visites trimestrielles. Sylvette Lasserre évoque un investissement fort, mais garde quelque distance, tant pour se protéger que pour apporter un meilleur soutien.
« Certes, dans l’immense majorité des cas, le classement d’un dossier signifie le décès de la personne. Mais nous nous forgeons une philosophie pour aider les proches à surmonter le deuil. »
99 % de mon travail consiste à établir des relations humaines.
Catherine Morel, directrice de deux foyers-logements à Saint-Malo
Au cœur de la vieille ville de Saint-Malo, tout contre les remparts, le foyer-logement Renan présente un aspect extérieur austère. Sitôt la porte franchie, l’ancien orphelinat révèle des espaces communs accueillants, trente-deux chambres aux teintes pastel et une immense terrasse lumineuse.
« Nous proposons, à des tarifs abordables, une qualité d’accueil comparable à celle des établissements privés », s’enorgueillit Catherine Morel, directrice des foyers-logements Renan et Mauperthuis, tous deux gérés par le centre communal d’action sociale de la ville. »
Nommée à ce poste en 1990, lors de la rénovation des deux établissements, Catherine Morel s’est attachée à décloisonner les liens hiérarchiques entre les personnels.
« Au cours de ma précédente fonction, qui consistait à coordonner les activités des quatre foyers-logements de la ville, j’ai constaté que les équipes fonctionnaient sans lien entre elles. Le cuisinier restait dans sa cuisine, les auxiliaires de soin et les agents d’entretien effectuaient chacun leur tâche et en cas de problème, les personnes âgées et leurs proches ne savaient pas à qui s’adresser. Aujourd’hui, les équipes fonctionnent en lien permanent. Mon travail consiste à 99 % à établir des relations humaines avec les pensionnaires, les familles, les aides- soignants et les intervenants extérieurs », explique Catherine Morel.
Savoir éteindre l’aspirateur pour écouter un pensionnaire
Au foyer-logement Renan, dix auxiliaires de soin et agents d’entretien assistent quatre-vingts personnes âgées, majoritairement des femmes présentant une moyenne d’âge de 84 ans, contre 88 ans à Mauperthuis. La plupart des résidents bénéficient de l’aide à domicile au sein de l’établissement, de manière à pouvoir continuer à effectuer certaines tâches elles-mêmes.
« En foyer logement, le personnel effectue moins de prestations techniques que dans une maison de retraite, mais se doit d’être plus disponible pour l’écoute et le soutien. Il faut savoir éteindre l’aspirateur pour répondre à une question. Parler, écouter font partie du travail », affirme Catherine Morel.
Les résidents arrivant en foyer à un âge de plus en plus avancé, leur espérance de vie dans l’établissement se monte à cinq ans, contre dix ans il y a une décennie. Nombre d’entre eux présentent des altérations des facultés mentales ou les premiers stades de la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, mais les établissements d’accueil s’efforcent de maintenir leur liberté de mouvement.
« Il est arrivé qu’une famille nous demande d’attacher une vieille dame pour l’empêcher de fuguer. Nous avons refusé. Périodiquement, il arrive que l’un de nos pensionnaires s’égare, mais il ne part jamais bien loin. Intra-muros, les commerçants nous connaissent et le reconduisent. Nous revendiquons le droit au risque et nous ne voulons pas nous enfermer dans un système où plus personne ne prendrait d’initiative par peur de poursuites judiciaires », indique la directrice.
Parties de jeu, parties de rigolade
Plus que les tâches quotidiennes, les activités réunissent équipe soignante et résidents. Le foyer propose des sorties en minicar, des ateliers de mémoire, des revues de presse, des activités manuelles et des jeux de société pour aider les personnes âgées à préserver leurs capacités intellectuelles. Un concours inter-foyers sur l’histoire de Saint-Malo a suffisamment motivé les résidents pour que certains d’entre eux passent des après-midi entières à la bibliothèque municipale à la recherche d’une réponse.
Convaincue de la richesse des liens intergénérationnels, Catherine Morel a organisé, en partenariat avec un centre de loisirs, un jeu de société intitulé « A l’abordage de la cité corsaire ». Inspiré du célèbre Trivial Pursuit, le jeu consiste à confronter des équipes constituées chacune d’une personne âgée et d’un enfant. L’an prochain, le jeu portera sur la découverte de l’euro, qui n’est familier ni aux enfants, ni aux personnes âgées.
« Il n’est pas question de passer le temps par des jeux abêtissants, affirme Catherine Morel. Nous sommes là pour relancer l’élan, préserver jusqu’au bout l’intelligence et la joie de vivre. Cette lutte quotidienne contre la routine donne lieu à d’énormes parties de rigolade que le personnel partage. Ces moments privilégiés contribuent à notre équilibre et aident à supporter les souffrances de la vieillesse. »
Bibliographie
- « L’évolution des métiers de la gériatrie », Yves Camus, Editions de l’Ecole nationale de la santé publique 1993.
- « La personne âgée, son accueil médical et psychologique et la question de la démence », Chronique sociale 1991.
- « La coordination gérontologique », Chroniques sociales 1994.
- « La vie de la personne âgée », docteur Albert Ladret, Chroniques sociales 1993.
- « Que sais-je : La gérontologie sociale » Maximilienne Levret-Gaudret et Anne Fontaine, 1987.
- « Animer une maison de retraite », R. et M.-C. Vercauteren, A. Barranger, éd. Pratiques du Champ social
- « Evaluer la qualité de vie en maison de retraite », R. et M.-C. Vercauteren, J. Chapealu, 1995. Editions Erès.
- « Acteurs et enjeux de la gérontologie sociale », R. Vercauteren et P. Pitaud, Erès, collection pratique du Champ social 1993.
- « Construire un projet de vie en maison de retraite », Jocelyne Chapeleau, Erès, collection pratique du Champ social 1993.
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