Accélération
Au cours de l’examen du projet de loi portant diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel, l’Assemblée nationale a adopté, le 10 mai, un amendement du gouvernement assouplissant considérablement les conditions dans lesquelles les collectivités locales peuvent déployer des réseaux de télécommunications à haut débit.
Cette disposition devait figurer initialement dans le projet de loi sur la société de l’information, dont l’examen risquait fort d’être reporté après 2002.Satisfaction.Acteurs publics et opérateurs sont unanimement satisfaits par le texte. Les premiers parce qu’il leur permet enfin d’agir avec un minimum de sécurité juridique, et d’amener des réseaux à haut débit dans les zones les plus isolées. Les seconds parce qu’ils ont l’assurance, pour l’instant, que les collectivités locales ne peuvent pas devenir opérateurs.
Sénat
Les protagonistes comptent bien obtenir des évolutions lors de la discussion de ce texte au Sénat, à partir du 30 mai. Des collectivités locales aimeraient pouvoir, dans certains cas limités, devenir opérateurs. Les opérateurs, de leur côté, s’interrogent sur la notion d’utilisateur et craignent de ne pas être les seuls à animer les réseaux.
Discrètement, et sans débat enflammé, les députés ont adopté, le 10 mai, l’amendement assouplissant les conditions d’intervention des collectivités locales dans le déploiement d’infrastructures de télécommunications. Cet amendement, d’initiative gouvernementale, a été ajouté au projet de loi portant diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel (DDOSEC), alors qu’il faisait à l’origine partie du projet de loi sur la société de l’information. En 1999, l’article 17 de la loi Voynet sur l’aménagement du territoire avait réglementé l’intervention des collectivités locales dans les infrastructures de télécommunications. En leur imposant des conditions de mise en œuvre très restrictives : obligation d’établir un constat de carence de l’offre privée, amortissement des investissements en huit ans.
Le nouveau texte revient sur ces éléments, et apporte même des nouveautés, soulignées par la ministre de la Culture et de la communication, Catherine Tasca :
Le champ des acteurs susceptibles d’utiliser ces infrastructures est étendu aux titulaires d’une autorisation de réseau indépendant – collectivités locales, administrations, entreprises.
Catherine Tasca
Résultat, la nouvelle rédaction de l’article L.1511-6 du Code général des collectivités territoriales satisfait tout le monde, à quelques réserves près.
Satisfaction générale
Du côté des opérateurs, Jean-Philippe Walrick, pour l’Association française des opérateurs privés en télécommunications (Afopt), rappelle que celle-ci a « toujours été favorable aux interventions des collectivités locales pour la mise à disposition d’infrastructures aux opérateurs. L’amendement nous convient ».
Avis identique de l’Association française des opérateurs de réseaux multiservices (Aform). Même France Télécom, très virulent il y a quelques mois encore, soutient la démarche : « Nous n’avons rien contre le nouveau texte, surtout si les réseaux sont déployés dans des zones rurales, là où les opérateurs ne vont pas. »
En revanche, tous trois insistent pour limiter le rôle des collectivités locales aux zones du territoire non couvertes par les opérateurs privés, dans une stricte perspective d’aménagement du territoire.Du côté des acteurs publics, même satisfaction, pour d’autres raisons. Patrick Vuitton, délégué général de l’Association des villes pour le câble et le multimédia (Avicam), se félicite ainsi que « le texte ne parle plus seulement de réseaux de fibres optiques, mais de réseaux de télécommunications » en général, ce qui inclut les autres technologies disponibles aujourd’hui. Le texte offre aussi une relative souplesse pour les conventions liant opérateurs et collectivités locales. Selon Lucien Rapp, professeur de droit à Toulouse et spécialiste des contrats de collectivités locales et de droit des télécommunications :
On peut, évidemment, envisager une délégation de service public sur le modèle d’une concession de service public ou d’affermage. Ce sont, du reste, des solutions de ce type qui ont été choisies par le Sipperec ou par la communauté d’agglomération toulousaine. Mais on peut aussi envisager d’autres formes de mises à disposition conventionnelles, telles que la régie intéressée, la gérance ou même le bail emphytéotique administratif de la loi d’amélioration de la décentralisation du 5 janvier 1988, pour autant que la mise à disposition soit effectuée dans des “conditions objectives, transparentes et non discriminatoires et à des tarifs qui assurent la couverture des coûts correspondants.
Lucien Rapp
Réserves et craintes
En revanche, Patrick Vuitton déplore que l’amendement interdise catégoriquement aux collectivités locales de devenir opérateurs. Pour l’Association des maires des grandes villes de France, la réserve se situe plutôt dans la persistance d’une distinction entre réseaux de télécommunications et réseaux de vidéocommunications qui a « de moins en moins de signification ».
Pour les opérateurs, les craintes sont ailleurs. D’abord dans le risque que les collectivités locales ne déploient des réseaux dans les zones urbaines, entrant en concurrence avec les réseaux privés. Ensuite, et surtout, parce que le texte prévoit que « les infrastructures mentionnées (…) peuvent être mises à la disposition d’opérateurs ou d’utilisateurs par voie conventionnelle ». C’est cette notion d’utilisateur qui pose problème, les opérateurs acceptant mal l’idée que quelqu’un puisse utiliser le réseau sans passer par leurs services. Le Sénat pourrait trancher cette question lorsqu’il examinera le DDOSEC, en principe à partir du 30 mai.
La Moselle lance sa propre boucle locale
Le département devrait arrêter, le 29 mai, l’avis de publicité lancé le 4 avril dernier pour annoncer la création d’une boucle locale à haut débit de 480 kilomètres.
L’amendement qui, à terme, supprimera cette obligation, n’a pas été définitivement adopté par le Parlement. Donc, le 18 juin, nos élus engageront la procédure sur la base d’un constat de carence. Le conseil général financera intégralement l’équipement pour un montant de 420 millions de francs (64 millions d’euros).
Patrick Bigot, directeur des services informatiques du département
Construite à 90 % le long des routes départementales, l’infrastructure desservira, d’ici 2003, l’ensemble du département. Avec l’association Communauté numérique interactive de l’est, une quinzaine de communautés de communes assurera la réalisation des dessertes locales.
Les collectivités sont unanimement convaincues de l’intérêt capital du haut débit et conscientes de leur incapacité à agir seules. Plongés dans un marasme économique, les opérateurs ne sont plus en mesure de tenir les délais, et l’Etat ne financera certainement pas seul le coût du haut débit. Les collectivités locales peuvent débloquer la situation en proposant aux opérateurs et à la population des tarifs proches du prix de revient.
Patrick Bigot, partisan lui-même de l'intercommunalité dans les réseaux à haut débit
--Télécharger l'article en PDF --