Le tribunal de Bar-le-Duc a prononcé l’arrêt, pour cinq mois, des travaux de forage du laboratoire meusien de recherche sur l’enfouissement des déchets radioactifs. La responsabilité du Groupement Fond Est est mise en cause pour des manquements graves à la sécurité des salariés.
Le juge des référés du tribunal de Bar-le-Duc (Meuse) a prononcé le 20 juin l’arrêt immédiat, pour une durée de cinq mois, du chantier du laboratoire de recherche sur l’enfouissement des déchets radioactifs de Bure. Ce jugement fait suite à une assignation de l’inspection du travail de la Meuse, qui dénonce « des manquements graves à la sécurité des salariés ». Conçu spécifiquement pour les besoins du forage, le « plancher de fonçage » (machine servant tout à la fois à forer, à évacuer les déblais et à faire descendre les hommes et le matériel) semble être à l’origine des deux accidents – l’un grave, l’autre mortel – survenus entre décembre 2001 et mai 2002.
Le 15 mai un ouvrier avait été tué, écrasé par un tube d’aération au fond du puits principal d’accès du futur laboratoire souterrain, à 226 mètres de profondeur. En décembre, un ouvrier s’était grièvement blessé en faisant une chute de 11 mètres alors qu’il effectuait des travaux de bétonnage. Les travaux avaient alors été arrêtés pendant plus d’un mois. Dysfonctionnements. Le 23 mai, une visite de l’inspection du travail a mis en évidence des dysfonctionnements (tirs d’explosifs trop puissants et mal maîtrisés, risques d’ouverture inopinée d’une trappe) de nature à créer un danger pour les salariés. Le plancher de fonçage, dont la construction a généré un surcoût de 4,5 millions d’euros, a pourtant obtenu la certification CE validée par le Centre d’études techniques des industries mécaniques (Cetim).
Le Cetim est impliqué dans la fabrication de ce prototype depuis plusieurs années [et] il appartient aujourd’hui à un organisme indépendant de vérifier la conformité de cet équipement de travail.
Joël Louis, inspecteur du travail chargé du dossier, qui a obtenu gain de cause auprès du tribunal.
Responsabilités
Mandataire de l’opération, Bouygues Travaux publics prend acte du jugement, mais n’exclut pas d’assigner à son tour CDF ingénierie, concepteur de l’engin, ainsi que l’Agence nationale pour le retraitement des déchets radioactifs (Andra), maître d’ouvrage du laboratoire. Prévue le 20 novembre, une nouvelle audience devrait permettre de déterminer les responsabilités respectives de chaque intervenant.
D’autres dysfonctionnements sont en effet dénoncés comme l’absence de Comité d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT) pour les 140 ouvriers du chantier, en l’absence d’une entité moralement responsable. Composé de Bouygues TP, de Vinci et de CDF Ingénierie, le Groupement Fond Est, qui se partage les travaux souterrains pour un montant de 54 millions d’euros, revêt en effet la forme d’un groupement d’intérêt économique (GIE), qui ne permet pas, en l’état, l’organisation d’un CHSCT.
Pour l’heure, l’Andra se garde de tout commentaire sur l’arrêt du chantier, qui représente un investissement total de 110 millions d’euros. Mais le calendrier initial semble à présent irrémédiablement compromis. Avant même l’accident mortel du 15 mai, l’Andra affichait un retard de près d’un an dans la progression du chantier.
Les cinq mois d’arrêt imposés par le tribunal ont transformé nos doutes en certitudes.
Benoît Jacquet, secrétaire général du Comité local d'information et de suivi (Clis) qui regroupe des représentants des collectivités, des associations et administrations concernées par le projet de laboratoire, sous la houlette du préfet
Ce laboratoire doit être construit à une profondeur de 490 mètres pour étudier à partir de 2004 la possibilité de stocker des déchets nucléaires à grande profondeur. Or :
Tenue de présenter le résultat de ses travaux devant l’Assemblée nationale fin 2005, l’Andra ne sera pas en mesure de fournir les éléments nécessaires pour statuer sur l’enfouissement des déchets radioactifs dans l’argile.
Benoît Jacquet
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