Originaire de Forbach, Jean Hurstel est revenu dans « son pays natal aux multiples frontières » le 13 octobre 2017 à l’occasion d’une séance de dédicace de son cinquième ouvrage, « Culture des lisières » (1). Directeur de l’Action culturelle du bassin houiller lorrain, puis du centre européen de la jeune création « la Laiterie » à Strasbourg, l’homme de théâtre a également fondé le réseau Banlieues d’Europe et préside depuis 2006 le centre culturel bruxellois les Halles de Schaerbeek.
Devant l’auditoire réuni à la médiathèque municipale, il a rappelé avec humour et conviction l’importance des échanges culturels pour éviter « les ornières de la pensées ».
Vous avez dirigé de 1970 à 1983 l’Action culturelle du bassin houiller lorrain. Comment cette action culturelle a-t-elle traversé la frontière ?
Très naturellement. Il me semblait évident que la caractéristique première au bassin tenait à sa frontière. Cette approche était nouvelle, mais très demandée. Nous avons connu des moments forts. Nous avons entre autres produit le spectacle bilingue « Chroniques frontalières/Grenzgeschichten » à Petite-Rosselle, organisé des échanges au mémorial de la Brême d’or, qui fut un camp de concentration et le théâtre de tant de guerres, ou encore, publié un recueil de recettes de cuisine bilingue, Prutschel Eck (le coin du fourneau où mijotent les plats, traduction approximative de la rédaction). Ce petit livre qui donnait les recettes de plats lorrains, maghrébins, yougoslaves, polonais et siciliens, a été édité à 10 000 exemplaires.
Nous avons également rassemblé des éléments de mémoire collective, comme ces milliers de photos que nous allions chercher de village en village. Les gens faisaient la queue pour nous apporter des photos de leur famille, de scènes de déportation, de catastrophes minières, mais aussi de fêtes, les Kirb. Rassemblées, elles faisaient le procès de la région. Je les ai longtemps cru perdues et je vivais cette perte comme une pierre sur mon cœur (2).
Que retenez-vous de votre longue exploration de la diversité culturelle ?
Ce sont les cultures qui font la Culture. J’ai travaillé à ce passage durant toute ma vie. Si ce travail n’est pas fait, si les gens ne sont plus reconnus dans leur culture et dans leur dignité, si l’on reste prisonnier des représentations de l’autre, il ne faut pas s’étonner que certaines haines se propagent.
C’est particulièrement perceptible dans une région comme la nôtre, où les Mosellans et les Sarrois partagent une expérience commune du mépris. Un vieux mineur que je cite dans mon livre me disait : « Ceux de Berlin sont certains d’être allemands, ceux de Paris, qu’ils sont français. Nous, on est dans un espace frontalier. Même si on est français, on ne sait plus très bien qui on est au fond ».
L’identité culturelle est mouvante, c’est un passé qui change et se renouvelle constamment. La prochaine génération devra faire ce travail sur l’identité culturelle pour éviter les ornières de la pensée. Il ne faut pas viser l’assimilation, mais l’échange. Sans échange, il n’y a pas de coopération, seulement des spectacles. Pour partager, il faut accepter de recevoir, de reconnaître la mémoire, le savoir de l’autre. Notre région recèle un gisement incroyable de culture oubliée.
Propos recueillis par Pascale Braun
(1) Culture des lisières – éloge des passeurs, contrebandiers et autres explorateurs », Jean Hurstel, Editions du Cerisier, 2016.
(2) Jean Hurstel a appris durant la présentation de son livre que ce document avait été préservé par l’association des Amis de l’histoire du pays de la Merle.
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